L’avoir eu ou pas

Marie-Françoise Després-Lemarchand

Vendredi 7 mai… n’est pas un jour ordinaire. Certes, nous sommes le lendemain d’une pluie espérée, guettée depuis des semaines (« ici Radio-Normandie… » !) et qui, soudain, merveilleusement, fut là, pailletant les jardins, cirant les impers empoussiérés, réveillant vers de terre et escargots, réjouissant la nature et le cœur. Toutes affaires cessantes, une balade matinale s’est imposée par les sentiers alentour (ah ! le feuillage vernissé, la terre amollie, les lointains embrumés, le glougloutement allègre des caniveaux !) Au vieux monsieur qui s’est gentiment arrêté pour me proposer sa voiture, je n’ai pu que répondre dans un sourire quasi extatique : « Oh ! non merci ! surtout pas ! j’adore marcher sous la pluie, j’attendais ça depuis des semaines ! » Il n’a pas insisté (un peu fêlée ?!...) et j’ai pu continuer à folâtrer entre les herbes mouillées. Cela sentait l’enfance, la campagne d’autrefois, la Normandie éternelle style peinture à l’huile bucolico réaliste (bocage, printemps 1924). Les mots se levaient avec les vers de terre « crachin, bruine, chuintement… » et les hochements de tête des paysans (quand il y avait dans la Manche plus de paysans que de lotissements…) : « Dame oui ! l’temps est pris… oh oui, i n’est ben pris ! »… Les images affleuraient, des cartables trempés, des pique-niques de promenade scolaire réfugiés sous des hangars dégoulinants, des tennis clapotant dans un « flic floc » familier… Ce fut un beau matin ! J’ai négligé la photo prévue, le ciré noir a séché au garage, j’ai replié le parapluie… Grand soleil à nouveau aujourd’hui, j’attendrai la prochaine averse…

Et donc, disais-je, vendredi 7 mai : rendez-vous de vaccination ! Mais oui, cela en fait un jour tout à fait excitant – 2021, 62 ans, sur l’air de : « Et ça continue encore et encore… » avec, aussi, un joli contrepoint de « Je me souviens… » : des séances de cuti à l’école primaire, de la féroce petite plume que nous regardions soulever la peau sans broncher, de la marque circulaire où se lirait notre sort « négatif/positif », de la grille acérée du BCG qui nous estampillait, de la doctoresse du dispensaire, silhouette trapue, crâne dégarni, barbe sombre, que notre petite cité provinciale, imprégnée de catholicisme traditionnel, non révolutionnaire, et à mille lieues des mouvements LGBT appelait respectueusement « Mademoiselle » sans que cela soulevât autre chose que, parfois, un discret étonnement. Le cachet s’apposait sur le carnet de santé – voilà, c’était fait. Au suivant ! nous étions vaccinés !

Je me demande si je dois apporter cette relique bleue écornée au rendez-vous de 12 h 10. Scansion du temps, cela me plairait. En tout cas, à la question quasi rituelle qui ponctue toutes les conversations désormais, je vais pouvoir répondre : « Oui ! » avec un brin de fierté ou l’air assuré de celle qui a franchi un cap vers la maturité ! Et (décidément chaque jour a sa petite madeleine !) cela me rappelle soudain la question qui hantait nos écoles de filles : « Et toi ? Tu les as eues ? » et la réponse embarrassée : « Euh non… pas encore… mais ma sœur, oui… » et le nimbe du jour où… Ça changeait rien, ça changeait tout : ça y est ! on en était !!! 

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