De l'envie d'écrire
Pierre Kobel
La plume me démange. Alors, écrire ! Mais à propos de quoi ? Jeter quelques mots sur la page, voir venir, laisser mûrir la chose, aller par « sauts et gambades », divaguer en quelque sorte en entremêlant l’actualité et des réminiscences, ce que m’ont dit les derniers livres lus, en laissant passer de l’humeur du jour et des gros points d’interrogation quant à l’utilité de mes chantiers.
Voilà, je suis dans les transports entre deux domiciles, ma valise bureau sur les genoux, le carnet ouvert, le Pilot V7 entre les doigts, la tête ouverte au champ des ruminations, je me laisse bercer per le roulis du RER qui me dit le quotidien, m’insère dans un rythme sans surprises.
Ici je suis chez moi. Cette banlieue c’est la mienne. Quand on me demande : « Vous êtes parisien ? », je réponds : « Banlieusard ! » Et pour moi c’est aussi riche que d’être de la capitale. J’ai grandi dans cette banlieue de l’est, dans un monde modeste de petits fonctionnaires, d’ouvriers, d’employés, de mères au foyer et de petits commerces. Je me souviens du maire communiste de cette ceinture rouge qui saluait chaleureusement le curé de la paroisse dont ma famille était un pilier. Je me souviens plus tard de Guy Bedos au théâtre municipal commençant son spectacle par : « Une municipalité communiste ? Et l’Institut du cancer ? Les pauvres… ! Vous n’avez pas de chance… » Éclat de rire de la salle évidemment !
Oui cette France-là était modeste, en grande part venue de sa province natale, encore empreinte d’un monde plus ancien où les guerres du XXe siècle avaient laissé leurs marques.
C’était encore beaucoup de vieilles maisons du siècle précédent, des pavillons en meulière, signes de l’ascension sociale des plus favorisés, c’était les jardins familiaux au pied des forts ceinturant encore Paris, c’était les Comptoirs français, le Viniprix, premier libre-service, bien avant les fourre-tout anonymes d’aujourd’hui aux portes des villes. C’était les entreprises de tailles moyennes insérées dans le tissu urbain qui provoquaient l’émoi dans tout le quartier quand se déclarait un incendie.
Tout a changé ? On en a l’illusion, mais rien n’est moins sûr. Il y a toujours ce monde modeste à ma porte. Ma banlieue s’est un peu déplacée. Elle s’agrémente aujourd’hui des bords de Marne, de leur nature, de la volatile qui les peuple. (les pigeons de ma fenêtre devenus grands se sont envolés depuis longtemps et si je laissais faire les adultes rempliraient le nid de nouveau). Elle s’est bâtie d’immeubles sur les ruines des maisons vétustes, elle a supprimé les trolleybus pour se laisser rattraper par le métro et le RER. Pour autant je croise toujours cette population travailleuse, ces immigrés repoussés à l’extérieur des lieux de leur labeur, ces petites gens retraités qui promènent leur chien et vont au Monoprix aux heures chargées « pour voir du monde ».
Modeste. Je ne cesse de revenir à ce qualificatif qui traduit le mieux ce qu’était et ce qu’est encore cette vie anonyme, répétitive, aux ambitions mesurées, parfois rétives aux différences et aux « étranges étrangers », cherchant l’assurance et les rituels dans une société en perpétuel mouvement, à l’évolution chaotique, au temps fragmenté que parfois seuls les mots reconstruisent.
J’aurais pu intituler mon billet Chronique divagatrice. Je l’ai commencé sans savoir où j’allais, il m’a ramené chez moi, dans mes espaces géographiques, mentaux, dans mon histoire personnelle.
Et accessoirement, il a rempli mon voyage d’une banlieue à l’autre.