Chroniq’hebdo | D’un anniversaire, de quelques propos et d’une communauté villageoise
Pierre Kobel
Longues promenades dans la campagne et dans le village. Je me suis laissé vivre, je me suis reposé, composant comme je peux avec les inquiétudes qui me tiennent.
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34e anniversaire de la mort de mon père. Souvent je m’agace qu’on égrène le nom des morts au fil d’une nécrologie sans fin qui plombe le moral quand on fait à peine mention des naissances dont il est vrai, il y a peu à dire, mais qui sont des promesses. Par contre à l’échelle privée, familiale, c’est l’inverse. On célèbre l’arrivée des bébés et on oublie trop vite nos parents disparus, ne s’en tenant qu’à quelques souvenirs anecdotiques dont le plaisant ne suffit pas à constituer une véritable mémoire.
Papa est mort depuis 34 ans et je ne sais pas vraiment ce qu’il reste de lui. Des souvenirs, certes, des objets, des traces matérielles de ses centres d’intérêt. De son caractère aussi, surtout pour ses côtés maniaques. Mais moi, je veux me souvenir de l’homme généreux et profondément humain qu’il était, de ses fragilités, de sa curiosité, de son souci du collectif. Aurais-je pu me rapprocher de lui s’il avait vécu plus longtemps ?
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« J’écris parce que nous avons vécu ensemble. Et toujours les mots manquent pour le dire, toujours. » Sabine Huynh cite Georges Perec dans Elvis à la radio et elle poursuit :
« Les mots hésitants qui cherchent leur voie et leurs alliés sont la manifestation de ce qui s’est construit en nous à partir des traces que les autres ont laissées en nous. Nous écrivons parce que l’autre a partagé sa vie avec nous, et nous écrivons avec son absence, à travers son absence, sur son absence et contre son absence. Nous écrivons pour maintenir la présence, parce que si nous n’écrivons pas, c’est comme si l’autre n’avait jamais existé. »
Ailleurs dans une note de lecture du Morsure de nuit d’Ervé à paraître bientôt, Sabine écrit :
« Certains, certaines, s’ils ne savent se raconter, ne laisseront aucune trace de leur passage sur terre, et nous n’aurons rien appris d’eux, alors que nous en avons tant besoin, d’apprendre dans les marges, grâce aux marges, car elles ne sont jamais ce que l’on croit qu’elles sont. »
Des propos qui me parlent et que je fais miens en les recopiant ici. J’ai repris la lecture du livre de Sabine après une longue interruption et dès l’abord, ces lignes qui rejoignent pour les unes ce que j’ai écrit à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Papa et pour les autres mes questionnements quant à l’utilité de l’écriture.
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J’ai poursuivi la collecte photographique des tombes du cimetière initiée en mai dernier. Prénoms anciens et devenus inusités, patronymes récurrents, c’est la découverte partielle de l’histoire des habitants du village. Nomenclature de noms qui dit les liens entre les individus, l’évolution d’une communauté à travers les mariages, les filiations.
En aval de ces tombes, c’est la mise en réseau humain qui forme une toile villageoise parfois distendue par le temps et les distances, mais qui raconte une histoire toujours vivante.