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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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20 avril 2024

La Grande Maison du Petit Village Natal

Abdellaziz Ben-Jebria

 

Suite à la mort accidentelle, le 18/4/1937, de mon grand-père maternel, ma grand-mère (1910-1998), ma mère (1930-2016), et ma tante (née en 1935) furent ses seules héritières. Elles étaient alors âgées, respectivement, de 27, 7 et 2 ans.

Puis, quelques années après le mariage de ma tante, l’héritage avait été conclu officiellement par les deux sœurs en départageant équitablement les 300 oliviers de leur père, situés à la campagne avoisinante du petit village ; elles s’étaient mises ensuite d’accord pour que ma tante prenne possession de la vieille maison de ses parents, qui était tombée progressivement en ruine par abandon et négligence, avant d’être vendue tout récemment par ses enfants. Quant à ma mère, elle avait acquis un grand terrain, qui était un petit champ de blé à l’époque de la fin des années 1940. Il est situé actuellement au bord de la route principale qui traverse le village et qui mène directement à la grande ville de Sousse.

Dois-je préciser, en passant, que le petit village en question est devenu plutôt une petite ville ? Il n’avait malheureusement pas cessé de s’agrandir superficiellement, avec des constructions, aux dépens des belles oliveraies verdoyantes à la campagne avoisinante ; et sa population avait suivi, passant d’à peine 500, à ma naissance, à 2000 au début des années 1970 pour atteindre actuellement les 12 000 habitants. La grande cause de cette galopante urbanisation est l’exode rural à la recherche d’emploi sur les côtes du sahel méditerranéen. Et cette population migratoire, d’origine rurale, optait continuellement pour la famille nombreuse, et n’avait jamais suivi les encouragements de Bourguiba pour la réduction de la natalité avec la contraception et l’avortement qui sont pourtant légaux depuis l’indépendance.

Ceci étant dit, je retourne à mon principal sujet pour relater que l’acquisition du terrain, hérité par ma mère, avait bien plu à mon père (1920-1997) qui vivait pourtant en location temporaire avec ma mère, peu de temps après leur mariage ; il ne voulait pas vivre dans la maison de ses parents et de ses nombreux frères dont certains étaient aussi, sinon plus, âgés que ma mère ; je pense, d’ailleurs, que c’était le seul jeune couple locataire solitaire du petit village.

Le terrain convenait donc parfaitement à mon père, car il pouvait y laisser sa trace historique, sa contribution personnelle et sa propre légitimité. Avec le terrain qui appartenait à sa femme et son édifice à lui, l’association des deux époux devenait équitable. Ma grand-mère, qui avait elle aussi contribué à cet arrangement, avait donc vu juste ; elle avait préalablement bien lu les pensées de mon père, et elle avait deviné sa vision pour l’avenir de sa propre famille. En effet, mon père, qui était un homme avide du travail, et qui aimait beaucoup son métier de simple marchand ambulant, s’était attelé, dès l’accord, à travailler encore plus durement que d’habitude pour commencer à construire progressivement une grande maison traditionnelle sur ce terrain qui mesure à peu près 1000 m2 de superficie.

Mais à l’époque, il n’était pas possible de construire complètement une maison, car il n’y avait pas de possibilités d’emprunt bancaire. Alors, tout se faisait par à-coups, en discontinuité, et en fonction des besoins urgents pour se loger qui étaient liés aux naissances progressives, et qui dépendaient évidemment des moyens économiques pour la construction.

Mon père pensait que ce grand terrain pouvait être divisé en deux lots, l’un servant à y bâtir notre maison familiale et l’autre fonctionnant comme une sorte de basse-cour. Mais pour lui, le plus urgent était de construire d’abord les murs pour clôturer l’ensemble du terrain, avec deux entrées principales, une petite pour la maison d’habitation et une grande pour le passage des animaux domestiques, d’une charrette avec son attelage et éventuellement d’une voiture ou un camion par anticipation de l’avenir proche ou lointain. Ensuite, sa priorité était surtout de construire une grande chambre traditionnellement rectangulaire pour lui et ma mère, et une petite pour stocker nos réserves d’huile, de semoule et d’autres produits comestibles non périssables.

La réalisation de ce premier projet demandait beaucoup de frais de construction et de sacrifice de dépense pour une famille de six personnes. Mais deux ans après l’accord du partage, mon père avait réussi son pari. Et à la fin de mon année scolaire de 1959, nous avions une grande maison, très incomplète, mais bien clôturée, avec deux chambres, dont une grande, pour les parents, embellie par ses deux fenêtres en fer forgé, ses beaux carrelages en mosaïque et ses murs, en pierre et mortier, de 50 cm d’épaisseur et de 4 m de hauteur, qui garantissaient une fraîcheur à l’intérieur pendant la grande chaleur de l’été.

Mon père, qui aimait beaucoup travailler, avait alors persévéré sans relâche de poursuivre son rêve afin d’achever la construction progressive de sa grande maison, d’autant plus que la famille s’était agrandie pour atteindre au total 4 frères et une sœur, à laquelle il fallait inclure ma grand-mère maternelle qui avait choisi de se joindre à nous et faire partie de notre famille, après le mariage de ma tante.

C’était dans cette grande maison du petit village de Ksibet-Sousse que j’avais connu, il y a 65 ans, à la fin de cette année scolaire de 1959, le mauvais souvenir de ma circoncision, à l’âge de 9 ans et sans anesthésie. Mais c’était aussi dans cette maison que j’avais vécu les meilleurs moments de ma vie d’enfance et d’adolescence en présence de mes parents, et surtout en compagnie de ma grand-mère maternelle qui m’avait tenu compagnie tout au long de mes soirées d’études, primaires et secondaires, sous la lumière d’une lampe à pétrole. Et c’était dans cette grande et même maison que je m’étais marié, il y a presque 48 ans, dans la joie et le bonheur d’une mémorable ambiance de fête traditionnelle.

Alors, dès ma retraite, et quatre années avant la perte de notre mère, j’ai pu transformer la petite chambre de réserves comestibles en une belle bibliothèque conçue à ma guise par un proche ébéniste. J’y avais stocké toutes les archives familiales, scolaires et universitaires, les thèses de mes étudiants, les albums de nos photos-souvenirs, ainsi que mes livres professionnels et culturels dans les trois langues arabo-franco-anglaises.

Depuis le décès de notre père, mes jeunes frères et moi avions constamment rénové cette simple, mais belle maison traditionnelle, pour améliorer et moderniser le confort de ses lieux sanitaire et culinaire (salles de bain-douche, et cuisine équipée à l’américaine). Nous continuons d’entretenir sa structure sans toutefois modifier son architecture originelle. Je dois préciser que mon père, qui avait l’esprit cartésien, ne voulait ni arcature, ni motif ornemental, ni arcades, et avait tenu à la construire simplement avec une grande cour au milieu, entourée de nos chambres, possédant chacune deux fenêtres de part et d’autre de la porte d’entrée qui donnent sur la cour, et auxquelles s’ajoutent mon actuelle bibliothèque, la cuisine familiale, les sanitaires, et le grand hall d’accueil à l’entrée principale de la maison.

C’est pour cela que j’adore cette grande maison, simple, quasi traditionnelle, et quasi moderne, avec ses murs épais, ses hauts plafonds, sa spacieuse cour ouverte au ciel bleu du jour et étoilé la nuit, et ses chambres bien orientées vers l’Est (mer Méditerranée) et le Sud, qui garantissent l’installation de l’ombre tout au début de l’après-midi pour amoindrir la chaleur de l’été. Et c’est pour cela que, lorsque je suis en Tunisie, je ne peux jamais dormir ailleurs que dans ma chambre, celle qui m’avait été construite et allouée par mon père. Et tout en admettant que je suis évidemment éphémère, j’ose prétendre que la grande maison de l’ex-petit village natal sera éternelle pour les futures générations.

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