Norias et arrachements

Bernard M.

Ces dernières journées ont été très occupées par des tris dans l’appartement de mon père. C’était fatigant et éprouvant. Que garder ? De quoi se débarrasser ? Nous avons déjà ramené dans notre petit deux-pièces quantité de choses pour nous ou à destination de nos enfants. Nous ne sommes pas très loin, un petit quart d’heure à pied, et on a fait déjà cinq ou six allers et retours avec de grands sacs à dos et de gros sacs plastiques très solides dans chaque main. Nous avons embarqué des gravures et des tableaux, des objets de décoration, des livres, de la verrerie, un tapis, beaucoup d’albums photos et des papiers de famille… Pour les albums photos après avoir commencé quelques tris sur place, je les ai finalement tous emportés. Trente-quatre gros et très pesants albums ! L’idée ce serait d’en garder quelques-uns particulièrement intéressants intégralement (l’ascension du Mont-Blanc, le trekking au pied de l’Annapurna, le voyage au Groenland, le voyage en Patagonie, plus un ou deux autres plus variés, moins exotiques, mais comportant beaucoup de photos de famille). Et dans les autres de piocher quelques photos pour aboutir à un ou deux albums synthétisant plusieurs années. Gros boulot en perspective. J’ai emporté aussi une grosse veste en cuir, ça je n’y pensais pas, mais c’est le froid de loup qu’il fait à Paris en ce moment qui m’y a incité, je n’avais pris pour notre voyage qu’un petit blouson léger, me croyant au printemps…

Et les norias faites, il y a tout ce qu’on laisse à charge d’enlèvement par l’entreprise de débarras. Elle nous a assuré qu’elle recyclait tout ce qui était possible, notamment les livres, la vaisselle, les pièces de décoration dans des brocantes. Espérons donc que certaines choses auront une seconde vie… On aurait pu essayer aussi de vendre quelques trucs par Le bon coin, le canapé cuir, un assez joli service en Limoges, l’argenterie, mais bon on n’a vraiment pas eu le temps de se lancer dans ce type d’opération, ni non plus d’aller donner nous-mêmes des choses à la ressourcerie. Et donner à Emmaüs se révélait compliqué aussi.

Bref c’était hier que l’entreprise intervenait. Nous sommes allés accueillir l’équipe à neuf heures du matin, quatre gars bien baraqués. C’était éprouvant de les voir travailler. Cela va à une vitesse effrayante. Les contenus des étagères se retrouvent basculés en un clin d’œil dans de gros sacs plastiques, cela me fait mal notamment pour les bouquins que nous n’avons pas emportés, des tas de livres de poche, mais aussi de nombreux livres grand format, de « beaux livres » très illustrés, la très pointue bibliothèque juridique de mon père. C’est un arrachement de voir tout ça partir de la sorte. In extremis on en a rajouté quelques bouquins à ceux qu’on avait déjà emportés les jours précédents, aggravants du même coup, l’encombrement chez nous ! Nous sommes repassés en fin d’après-midi pour voir l’équipe terminer le travail. Ils ont fini à sept heures du soir par les deux caves dans lesquelles il y avait aussi une quantité impressionnante de choses. En plus de cinquante ans dans le même lieu on accumule !

Ensuite nous avons déambulé dans l’appartement vide. Cela fait drôle. Comme la mort du lieu après la mort de son occupant. On est resté un moment à contempler le couchant, cette vue merveilleuse sur Paris que l’on a depuis le balcon qui court tout du long de l’appartement.

Dernier regard… car vendredi prochain je signe la vente.

Une page achève de se tourner.
 

Comments

[Cassagne]

Je lis tous ces textes consacrés aux maisons du souvenir...maisons aimées que le temps de la mémoire nimbe d'une émotion si particulière, parfois maison dont on profite encore.
Mais ce texte-ci mériterait vraiment de faire partie de ces témoignages : maison vécue au présent, qu'on vide et qu'on quitte, encore pleine d'un passé si riche, du souvenir des morts récents. Moment difficile de l'adieu à ce qui ne sera plus jamais le même, qu'on laisse à d'autres.