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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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4 mai 2024

Le Poulguin

Anne-Marie Krebs

 

Dans mon enfance et ma jeunesse, j’ai déménagé une bonne vingtaine de fois et habité des logements très différents : maisonnettes dans le bled marocain, pavillon dans un lotissement de banlieue, appartements parisiens, petites maisons de villages etc… Depuis maintenant 25 ans, j’ai enfin trouvé la stabilité dans mon appartement aixois où je pense finir mes jours, à moins que, Dieu m’en garde, je doive le quitter un jour pour un EHPAD…

De tous ces lieux je garde des souvenirs plus ou moins heureux selon les époques de ma vie et les événements que j’y ai vécus, ils ont peu ou prou laissé des traces dans ma mémoire, mais aucun n’était vraiment remarquable …

Le seul qui ait durablement marqué mon imaginaire est un petit manoir où nous passions une partie de nos vacances en Bretagne, berceau de ma famille paternelle : le Poulguin situé sur l’Aven, la ria de Pont-Aven, dans le sud du Finistère.

Cet ancien poste de douane du Xe Siècle, qui taxait l'entrée de la rivière (les seigneurs de Poulguin avaient le droit de tirer à boulet sur les bateaux qui tentaient de passer sans payer), appartenait à tante Valérie, l’épouse d’un frère de mon père, notre oncle Arthur, l’ambiance y était austère. La cuisine où, à l’exception du dimanche, tout le monde prenait les repas, était immense, sombre et froide ; un grand escalier en vis menait à la salle à manger puis aux chambres. Celles que nous occupions avec nos parents devaient représenter, à elle deux, au moins la surface de la maison que nous habitions au Maroc ! Le soir, on ne voyait pas le très haut plafond, des chauves-souris sortaient parfois de l’ombre et s’enfuyaient par la fenêtre, nous avions très peur, ma sœur et moi, qu’elles s’accrochent dans nos cheveux… Il y avait, au premier étage, une salle de bain, avec une immense baignoire en fonte, et un seul WC, pour la nuit nous avions un seau et nous faisions notre toilette, très sommaire, dans une cuvette, je ne me souviens pas avoir utilisé l’antique salle de bain qui devait être réservée aux adultes. Lors des étés pluvieux, les murs suintaient d’humidité, on pouvait imaginer ce qu’il en était en hiver, le chauffage étant assuré par les seules cheminées, immenses il est vrai.

L’oncle Arthur, qui avait fait la guerre dans les tranchées de 1914 à 1918, était plutôt taciturne, tante Valérie, son épouse, issue d’une famille de nobliaux, avait l’accent breton et s’habillait de vieilles fripes sans aucune élégance, même quand elle recevait « du monde », même quand elle allait « en visite ». Ils vouvoyaient leurs enfants ! Notre oncle pratiquait l’ostréiculture, il élevait, entre autres, des belons, ces huîtres plates, très prisées qui sont la spécialité de la région car l’Aven est voisin du Belon.

Cette grande bâtisse offrait un contraste radical avec les maisons rudimentaires, sans style ni cachet que nous occupions dans le bled marocain. Ces questions, d’ailleurs, ne nous préoccupaient pas, nous les enfants, nous n’avions pas vraiment conscience de la beauté des lieux. Ce que nous adorions au Poulguin, c’était la proximité de la mer, d’un bras de mer, cette ria, où nous pouvions patauger toute la journée en toute sécurité.

Par beau temps, nous passions nos journées à l’extérieur, notre père nous emmenait en canot (on prononçait canotte) ou en pirogue jusqu’au ravissant petit port de Kerdruc, et à Rosbrass, en face, où nous retrouvions des cousins de nos âges. À pied, en longeant la côte, ou par l’intérieur des terres, nous allions parfois jusqu’à la plage de Port-Manech. Mais notre plus grand plaisir était de pêcher à marée basse, dans la vase, des petits poissons, des crevettes, des crabes ou de ramasser sur les rochers des moules, des bigorneaux, que ma mère nous faisait cuire et dont nous nous régalions. À marée haute, on pouvait se baigner sans danger, pas de vagues ou de courant à craindre comme sur les plages marocaines si dangereuse.

Quand il pleuvait on “allait aux champignons” dans les bois environnants ou dans les prairies où l’on trouvait de beaux rosés de prés. Nous adorions aussi aller chercher le lait, la crème et le beurre à la ferme juste à côté, la vieille fermière portait encore la coiffe et nous offrait des crêpes.

Ces vacances comptent parmi mes plus beaux souvenirs d’enfance et j’en ai gardé un grand amour de la Bretagne.

Je suis retournée au Poulguin à l’occasion, en simple visiteuse, ce sont des petits-enfants de mon oncle et ma tante qui en sont maintenant les propriétaires, mais plus personne n’y vit à l’année. Des aménagements ont réduit la taille des chambres, on a installé des salles de bains et des toilettes à tous les étages, mais l’escalier à vis est toujours le même et la grande cuisine a gardé son cachet. À l’extérieur : l’entrée par un porche dans un petit jardin sur lequel s’ouvre le manoir, tout est resté semblable, les murs de pierre n’ont pas bougé, seul le toit d’ardoise demande un entretien coûteux. Aussi les propriétaires louent-ils le Poulguin pour des films ou des événements… ce qui permet d’en financer l’entretien.

Je suis toujours saisie par la majesté de cette bâtisse qui défie le temps, j’y retrouve à travers les odeurs de la vase, du varech, du figuier dans la cour, les émois de mon enfance.


 

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