Maison, suite…
Catherine Bierling
Les vieilles photos le montrent : l’entourage de la maison peut être magique aux beaux jours, même s’il semble sinistre à la mauvaise saison. Jardin le plus beau du monde où mon papa a construit un bassin pour les poissons rouges, orné d’une magnifique chouette en silex provenant de la marnière proche du village. Profusion de fleurs et de plantes que fait pousser ma mère. À partir du printemps se mêlent les odeurs de la rose, du lilas, de l’œillet, du seringa sous la tonnelle. Pompons jaunes et boules-de-neige ornent les murs. Multitude de plantes qu’il faut rentrer en hiver sur une sorte d’estrade construite exprès pour elles et qui accueille aussi les poissons rouges qu’on a dû racheter après ceux qui ont gelé dans le bassin durant l’hiver si rigoureux de 1963. On ramasse des noix en septembre, de petites pommes piquetées et sures, des quetsches, des mirabelles. Un cerisier et un pêcher font de leur mieux dans ce climat souvent pourri et donnent quelques rares fruits bien peu sucrés. Deux marronniers dispensent leur ombre en été. Un jeune, tout droit et fier que la foudre abattra dans les années 70 ; un autre, tout vieux et bosselé dans lequel on peut grimper et se cacher.
Les bâtiments que l’agence nomme « les remises », à côté du grand porche d’entrée où l’on n’a pas le droit de jouer lorsqu’il fait froid à cause des courants d’air malsains, ont chacun un usage bien particulier. À gauche se trouve « le bâtiment de maman » où s’entassent le bois et les patates ensevelies sous la paille pour l’hiver ; un garde-manger très utile jusqu’à l’arrivée du réfrigérateur et une vieille planche qui me sert de table pour jouer à la dînette. À droite, « le bâtiment de papa » dans lequel il a installé son atelier, où il a rangé tous ses outils et ses mille et un objets mystérieux. Il abrite aussi la réserve de charbon que vient remplir chaque automne le charbonnier, trainant sur son dos ses lourds sacs bruns. Le tout, comme l’a spécifié l’agence est vétuste, sombre et mystérieux aux yeux de l’enfant qui aime pourtant bien s’y réfugier pour jouer.
Derrière la maison, dans la « cour aux poules » se trouve le poulailler dont on ouvre la porte chaque matin pour laisser s’échapper les volailles piailleuses et le furieux coq toujours prompt à passer à l’attaque, nommé d’Artagnan. On la referme le soir pour les mettre à l’abri du renard ou de la belette. Quelques lapins grignotent dans leur clapier, boules de fourrure que l’enfant aime caresser, surtout les petits qui naissent à la belle saison.
Enfin, derrière cette cour se trouve le jardin potager qui nous nourrit, que mon père peine à bêcher au printemps en se plaignant de son dos, où ma mère arrose et récolte, petits pois, haricots, salades, oseille, patates, poireaux, oignons, fraises… On y guette parfois la maudite taupe qui creuse ses galeries sous les semis, la bêche à la main pour lui couper le cou. Entreprise très rarement couronnée de succès !
Alentour, ce sont les herbages où paissent quelques vaches d’un fermier voisin, où l’enfant se glisse parfois, passant sous la haie, agrandissant ainsi peu à peu son terrain de jeux et de découvertes.
Si ma maison, c’est le Moyen-Âge, l’extérieur c’est l’Éden retrouvé, ma terre, celle que j’aimerai toujours, partout, dans tous les lieux où je passerai, fugace ou sédentaire. Cet environnement m’a appris l’amour de la terre et mon indifférence méfiante vis-à-vis des habitations urbaines n’ayant ni cour ni jardin.