Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Grains de sel
Grains de sel
Grains de sel

Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
Voir le profil de apagds sur le portail Canalblog

Newsletter
Commentaires récents
9 mai 2021

Écrire c’est vivre

Elizabeth L.-C.

 C’est un peu par hasard que j’ai emprunté à la bibliothèque Robert Desnos de Montreuil le livre de John Berger, D’ici là (en VO : Here is where we meet, c’est-à-dire « c’est ici que nous nous rencontrons »). Le livre est paru en 2005, la traduction française l’année suivante aux éditions de l’Olivier. Le nom de l’auteur m’était familier, je savais que c’était un écrivain britannique qui s’était installé en France et plus précisément dans un village de Haute-Savoie dans les années 70. Mais à y réfléchir, je crois que je n’avais rien lu de lui…

D’ici là n’est pas une autobiographie, mais un récit (récit ?) fortement autobiographique. John Berger y parle à la première personne, et ce narrateur, c’est bien lui, né le 5 novembre 1926 à Stoke Newington, faubourg de Londres. Et c’est bien de rencontres qu’il s’agit, à forte charge affective, la première étant celle avec sa mère, morte depuis quinze ans. Car dans le monde de John Berger, les morts reviennent rendre visite aux vivants et leur donner des conseils. Il y en aura plusieurs dans ce livre construit de manière symétrique et géographique : trois chapitres axés sur des villes d’Europe (Lisboa, Kraków, Genève), puis un chapitre central consacré à l’évocation de fruits – « quelques fruits tels que s’en souviennent les morts » – puis à nouveau trois chapitres localisés à Islington, en Ardèche et à Madrid ; enfin un chapitre final situé en Pologne.

Dans chacune de ces séquences, le récit oscille entre les détails concrets relevés dans la vie quotidienne (à Lisbonne : marché aux poissons, aqueduc d’Aguas Livres…) et les souvenirs que ceux-ci déclenchent dans la mémoire du narrateur. Celui-ci ne semble pas le moins du monde étonné de croiser à Lisbonne sa mère défunte ; c’est elle qui lui apprend que les morts peuvent voyager où ils veulent, et qu’elle a choisi cette ville à cause des trams. John se rappelle alors le tram 194 qu’il prenait à Croydon quand il était enfant. « Peut-être que Lisboa est une escale réservée aux morts ; peut-être que les morts se manifestent ici davantage que n’importe où ailleurs. L’écrivain italien Antonio Tabucchi, qui aime profondément Lisbonne, y a passé une journée entière avec eux. »

Berger et sa mère se rencontrent plusieurs fois à Lisbonne. Elle fait des confidences à son fils, lui racontant comment elle avait connu son premier mari, Alfred, à la Tate Gallery devant les aquarelles de Turner – John ne savait même pas qu’elle avait été mariée avant d’épouser son père.

Il a envie de lui parler de ses livres. « Chacun de mes livres parle de toi, lui dis-je soudain. » (La mère proteste.) « Les livres parlent aussi du langage, et le langage, pour moi, est inséparable de ta voix. (…) Pourquoi n’as-tu jamais lu un seul de mes livres ? » La mère lui fait alors observer : « La seule chose à savoir avec certitude, c’est si tu mens ou si tu essaies de dire la vérité, tu ne peux plus te permettre de confondre les deux. » Cette conversation, à quelques variantes près comme le conseil « Écris simplement ce que tu trouves », est reprise par John Berger à la dernière page du livre comme chapitre « 8 ½ ».

La mère et le fils se verront une dernière fois près de l’aqueduc d’Aguas Livres, où John est accompagné par Fernando, l’agent d’entretien des canaux. « Je ne sais combien de temps nous restâmes là, l’un en face de l’autre – peut-être les quinze ans entiers qui se sont écoulés depuis sa mort. » Puis la mère s’éloigne. « Je me penchai et laissai ma main flotter dans le courant qui coulait après elle. »

Il y aura d’autres rencontres, à Genève avec sa fille Katya (bien vivante, elle – c’est elle d’ailleurs qui a traduit le livre en français) qui l’accompagne pour visiter la tombe de Jorge Luis Borges. À Cracovie avec Ken, qui est retourné mourir en Nouvelle-Zélande et qui a tout appris à John Berger quand celui-ci était un adolescent : à peindre, à boire, à jouer aux cartes. À Islington, avec son ami Hubert, pour essayer de retrouver le souvenir d’Audrey, une fille un peu étrange.

Mais c’est en compagnie des vivants que le livre s’achève, et ceux-ci sont tournés vers l’avenir : Mirek, sa femme Danka et leur fils de quelques mois Olek, des amis que John Berger rejoint dans leur maison en Petite Pologne, près de la frontière ukrainienne. Arrivé le premier, John alterne le récit de la vie de Mirek, celle de Danka (et de quelques autres) avec les préparatifs de la soupe à l’oseille – dont Ken lui avait donné la recette. Ils arrivent. Bientôt Olek va apprendre à marcher et Mirek construira un seuil à sa maison. Comment mieux nous dire que l’écriture, c’est la vie ?

NB : Ce texte est une version plus courte de celui affiché sur mon blog Fragmentaire.

Internet

20210509gds-liv-elc_ecrire_cest_vivre

 

Publicité
Publicité
Commentaires
E
Tu m'en vois ravie ! (et voir suite en message personnel)
Répondre
B
Ta présentation m'a donné envie de ce livre que je viens de commander (à ma librairie, pas à Amazon, ni à la Fnac !) d'autant que pour ma part je ne connais pas du tout ce John Berger, tu me fais même découvrir son nom...
Répondre
M
Merci et bravo pour ce bel aperçu du livre de John Berger que je suis et admire depuis un bout de temps. J'ai lu aussi ton article complet sur Fragmentaire...
Répondre
Mode d'emploi

Adresser votre texte (saisi en word, sans mise en page, en PJ à votre mail) à l'adresse :

apagrainsdesel@yahoo.com

- Envoyez si possible une image (séparément du texte). Cliquez sur les images pour les ouvrir en grand
- Précisez sous quel nom d'auteur il doit être publié
- Merci de ne pas adresser de textes trop longs afin de laisser son dynamisme à la lecture. Des billets de 2000 à 4000 signes environ sont les plus adaptés à la lecture dans un blog.
L
es administrateurs du blog se réservent le droit de publier un texte trop long de façon fractionnée.


 

Publicité
Archives
Publicité