L’homme semence
Anne-Marie Krebs
Je suis en train de terminer la lecture de La vie sexuelle de Catherine M., de Catherine Millet que nous allons rencontrer à la table ronde qui suivra notre AG samedi prochain. Elle raconte ses expériences de sexe en groupe et comment elle a eu des rapports multiples et parfois simultanés avec des centaines d’hommes.
Or j’ai lu récemment un ouvrage très court, une nouvelle de moins de 40 pages qui se situe aux antipodes. Cette nouvelle, L’homme semence, narre au contraire l’histoire des femmes d’un village privées par la guerre de leurs conjoints, amants ou fiancés et qui ont dû se partager un seul homme. Cela se passe dans un village des Basses-Alpes après le coup d’État du 2 décembre 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte qui s’empara de la totalité du pouvoir après avoir dissout la Constitution lui interdisant de se représenter aux élections.
Les oppositions les plus importantes à ce coup d’État se produisirent dans le midi, cette révolution méridionale et rurale est méconnue, même si Zola ouvre avec elle la série des Rougon-Macquart, dans La Fortune des Rougon où il parle avec sympathie des insurgés qui se mobilisent dans les petites communes du Var, des Basses-Alpes, d’une partie de la Drôme, du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône. Issus des campagnes, car dans les grandes villes la présence militaire et les arrestations décapitent le mouvement, ils marchent sur les villes moyennes comme Aix, Orange ou Forcalquier et mettent sur pied une garde nationale. Mais la révolte est vite réprimée dans le sang. Les républicains se dispersent, une chasse à l’homme se déchaîne contre les rescapés qui tentent de rentrer chez eux, il y eut 1700 exécutés rien que dans les Basses-Alpes.
L’homme semence débute deux ans après ces événements, quand les femmes d’un village occupées aux travaux des champs voient arriver un homme inconnu qui monte de la vallée. Depuis deux ans elles n’ont vu aucun homme et elles se sont promis que si un jour un homme venait elles devraient se le partager « pour la vie de leurs ventres ». Pendant une heure les femmes regardent l’homme monter vers elles, Violette Ailhaud, l’auteure du récit espère « être la première femme » ; quand la main de l’homme se pose sur son bras « je le regarde, écrit-elle, et dès cet instant je sais que j’appartiens à cet homme. Je sais, dans le même temps que je vais devoir le partager. »
Suit le récit des nuits brûlantes d’amour et de plaisir partagés. L’homme remplit sa mission auprès de toutes les femmes du village, mais son amour, il le garde pour Violette, celle qu’il a choisi la première.
Un très beau texte poétique qui parle sans détour et assez crûment du désir et du plaisir féminins, de la frustration due à l’absence d’hommes, de la solidarité entre les femmes, de leur détermination et, tout compte fait, de leur puissance.
Internet
-
Éditions Passiflore | L’homme semence