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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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31 août 2022

Promenade au cœur de mon village natal

Abdellaziz Ben-Jebria

Il n’est pas situé au bord de la mer ; tant mieux, autrement on perdrait notre tranquillité villageoise, et on serait submergé par la horde sauvage estivale. Mais, il n’est pas non plus loin de la plage ; c’est à peine 5 km de Boujaâfar-Sousse, de Sidi-Abdelhamid-Sousse ou de Skanès-Monastir.

20220831gds-mem-abenjeb_promenade_au_coeur_de_mon_enfance_GrandePente-KsarPourtant, j’ai acheté, il y a une dizaine d’années, deux petites demeures secondaires qui donnent sur la plage de Hammam-Sousse (près de l’hôtel Cléopâtre), pour faire plaisir, à l’époque, à ma mère et à mon épouse. Mais, dès la fin de notre déjeuner en commun, dans ce lieu estival, je les laissais toutes les deux faire leurs petites siestes au bord de la mer, et je rentrais prendre mon petit sommeil dans ma chambre éternelle que mon père m’avait fait construire, il y a plus d’un demi-siècle, à Ksibet-Sousse, mon village natal.

Cependant, dès que ma mère a décidé de nous quitter définitivement, en 2016, j’ai offert les deux petites demeures estivales à ma très chère fille qui en disposait, depuis, à sa guise, en les prêtant de temps en temps à ses proches. Par exemple, en cet été 2022, pendant que mon épouse y passait de plaisants séjours en compagnie de sa jeune sœur, je veillais, quant à moi, à la Rahba, au cœur du village, avec des amis ksibiens que je n’avais pas vus depuis quelque temps.

J’ajoute, en passant, que je préfère personnellement les montagnes qui me répondent avec des échos lointains et qui me fascinent avec les mouvements turbulents des chutes d’eau de leurs jolies cascades. J’admets, cependant, que j’aime aussi contempler la mer hivernale qui me parle avec le langage rythmé de ses vagues agitées sinusoïdalement. Je ne fais que l’écouter silencieusement à la manière d’écouter un orchestre musical de composition naturelle. Je me laisse ainsi naviguer dans une profonde douceur du passé, et je me console en même temps de ma furieuse amertume politique du moment.

Bon, il ne faut tout de même pas que je m’évade trop de mon sujet, car il s’agit bel et bien de mon Ksibet-Sousse qui est un village communautaire au vrai sens du terme, avec sa réelle vie locale d’enracinements familiaux, avec son héritage traditionnel du bon voisinage sociétal, et surtout avec la perpétuelle vitalité architecturale de ses nombreuses impasses historiques (الزنق) qui bifurquent des deux côtés des trois principaux axes qui convergent, tous, vers le nombril du village, et qui lui donnent cette réelle identité villageoise, composée des fameux quatre vieux quartiers : Rahba (الرحبة) (cœur du village), Ksar (القصر) (sommet du village), Toihrya (الطواهرية) (quartier des jolies filles, dont mon épouse ; une ancienne plaisanterie) et Driba (الدريبة) (quartier des riches paysans ; une autre ancienne taquinerie).

Alors comment pourrais-je vous faire visiter ce lieu que je considère toujours comme un village (ﻗﺮﻳﺔ), en dépit de son extension rapide, aux dépens des oliveraies qui l’envoisinaient ? Je vous propose tout simplement de m’accompagner dans ma petite promenade virtuelle qui débute au nombril de la place centrale du village, Rahba, et qui remonte la plus grande pente vers le sommet du village, Ksar. C’est un des quartiers que je connaissais le mieux, puisque j’y suis né et j’y avais grandi en passant toute mon enfance, toute mon adolescence et le début de ma jeunesse. Je pense que je connaissais presque aussi bien Toihrya et Rahba et moins bien Driba ; quoique je peux me défendre avec les surnoms (nicknames) des Dribiens (نكاعات الدريبين).

Commençons d’abord par Houmitt (quartier) Er-Rahba (حومة الرحبة) qui se trouve donc au centre du village avec sa propre place centrale à partir de laquelle émergent deux impasses où s’alignent, des deux côtés, des maisons et maisonnettes résidentielles : celle qui commence par Dar (maison) Zaâbar et qui se termine au fond par Dar Ben-Rayèna ; puis celle de l’ancienne mosquée qui nous amène vers Diar Hlab, Dali, Ghném, Hréja, Mehchi, et Kahnattou.

Poursuivons ensuite notre promenade en direction du ksar pour rencontrer sur notre chemin, à gauche, la toute première impasse des Diar Ben-jassa, Ben-Chaouacha, Tish, Krifa, Jilléb, Achour, Ben-Ali, Bouali, et Limème. Puis chemin faisant, en continuant notre balade, jetons un coup d’œil à droite sur la deuxième impasse pour saluer Diar Zghida, Khili, et Boudellaâ.

20220831gds-mem-abenjeb_promenade_au_coeur_de_mon_enfance_Impasse-Rabbegue-ChauchEncore un effort pour pénétrer cette fois-ci au cœur de mon impasse où je suis né, dans la maison de mon grand-père maternel, Mohamed Rabbêgue, que je remercie éternellement de m’avoir laissé, entre autres, des oliviers que j’aimais profondément, depuis que j’étais tout petit. J’avais passé une bonne partie de mon enfance dans cette simple et mémorable impasse au milieu de mes gentils voisins Diar Chaouch et Oueslati. Je voudrais profiter de cette occasion pour saluer Si Hassen et Si Abdelhamid, mais aussi la mémoire de Si Hèdi qui avec son jeune frère Si Abdelkader Chaouch, m’avaient fait rêver, car ils étaient mes modèles de réussites scolaires et universitaires, puisqu’ils étaient et restaient d’excellents ingénieurs parmi les meilleurs que la Tunisie avait produits.

Après cette pause contemplative au sein de l’impasse de mon enfance, nous arrivons enfin au sommet du Ksar avec ses deux places communicantes : la petite devant le Marabou Sidi Ben-Hlima et la plus grande où avait existé l’ancienne fontaine publique du quartier que j’avais fréquentée presque quotidiennement pour aider volontairement ma petite mère à lui transporter les deux jarres d’eau sur le dos de notre âne. J’avais aimé l’ambiance de cette fontaine qui était une plateforme presque exclusivement féminine où j’essayais de tenter ma chance auprès des jolies filles de mon quartier, en naviguant au milieu d’elles pour remplir mes jarres ; une bien naïve et adorable période d’adolescence. Rien n’était évidemment sérieux au-delà du croisement des beaux regards discrets qui exploraient réciproquement les visages, et l’échange de sourires innocemment prometteurs qui picotaient le cœur, bref d’agréables moments ; que demandais-je, de plus, à l’âge des sensations amoureuses à haute fréquence cardiaque ?

20220831gds-mem-abenjeb_promenade_au_coeur_de_mon_enfance_Impasse-Zaoui-ChillyBon, on s’arrête là tout en signalant les trois dernières impasses du Ksar : celle des Diar Trabelsi, les fameux maçons du village ; celle des Diar Zaoui, Skéli, Chilli et Himouch ; et la plus longue impasse des Diar Hourabi (père de mon copain Abdelkader Bouassida), Gasmi (grand-père maternel de mon père), Khallêdi, Gaâloul, Oueslati, et Walenn.

On peut faire de similaires promenades en empruntant les deux autres axes avec leurs propres impasses : Rahba-Toihrya ; et Rahba-Driba. Mais, ça suffit pour aujourd’hui, car la fatigue prend le dessus.

Par ailleurs, notre village a aussi le privilège d’être entouré, tout près, d’une réelle campagne d’oliveraies. Malheureusement, celles-ci se réduisaient progressivement au profit d’une urbanisation galopante, quelques fois anarchique, souvent grandiose pour les apparences, mais rien n’est impressionnant ; bref du béton sans verdoyance.

Je voudrais cependant mentionner le plaisir de voir de plus en plus des rénovations, intelligentes et romanesques, d’anciennes maisons et maisonnettes des parents disparus, comme par exemple celle de Si Abdelkader Chaouch, dans notre ancienne impasse commune ; celle de mon actuel bon voisin, Saïd Zaoui, qui a rénové merveilleusement la maison de ses parents, avec un beau jardin d’arbres fruitiers et une belle roseraie ; ou celle de son frère Naji-Rachèd qui a aussi rebâti intelligemment, à deux niveaux, la maisonnette de ses grands-parents maternels. Et j’essaie de mon côté d’entretenir tout en rénovant, avec mes jeunes frères, la grande maison traditionnelle de nos parents.

Ce faisant, on ne peut qu’embellir notre vrai village, ses Houma (quartiers), et ses impasses. Je suggère fortement de cesser d’abandonner les anciennes maisons de nos parents, en les rénovant quand c’est possible, car les enfants grandissent vite et partiront ailleurs à la recherche d’emplois. Ils ne reviendront que lorsqu’il s’agit d’un patrimoine, même modeste, de leurs anciens à s’y attacher avec intérêt sentimental.

Je voudrais, à ce propos, ouvrir une parenthèse, en m’adressant aux responsables de notre municipalité, avec le message suivant : la maison de Si Chèdli Oueslati est à vendre en ce moment. Il faudrait vraiment saisir l’occasion pour embellir notre village en l’achetant (peut-être avec l’aide de donations citoyennes), pour agrandir la belle place de Ksar qui, en la jumelant avec celle de Sidi Ben-Hlima, fera un beau petit jardin public du quartier, où les voisins voisines pourront se retrouver socialement pour bavarder ensemble sur des bancs, au milieu d’arbres et de plantes fleuries ; bref de la verdoyance qui manque terriblement au Bled.

20220831gds-mem-abenjeb_promenade_au_coeur_de_mon_enfance_CafeRahba-NuitJe voudrais enfin terminer cette narration villageoise en mentionnant mes agréables longues soirées, de cet été 2022, au café central d’Er-Rahba, celui de Abdeljalil, en compagnie d’anciens et de nouveaux jeunes amis avec qui je sirotais un thé à la menthe, assez médiocre à mon goût. Mais, je tolère ce breuvage aux bénéfices des jacasseries anecdotiques et des discussions passionnantes, souvent animées par : l’excellent infirmier, Fathi, avec sa bonne humeur, sa générosité, et sa sincère camaraderie villageoise ; l’instituteur et poète écrivain, Hassen-Mondher, avec son interminable passion narrative de la poésie et de l’anthropologie ; le jeune et sympathique banquier, Tarek, avec son engouement pluriculturel et politique ; le professionnel du tourisme, Khemaïs, avec sa nouvelle vocation agricole ; le racontar, Rachèd, avec ses connaissances précises de toutes les rumeurs qui circulent dans le village ; et enfin leur ainé-serviteur, Aziz, qui met de côté sa passion scientifique, pour se plaindre et critiquer farouchement, avec argumentation raisonnée, la désastreuse politique du Bled, et le retour envahissant de la religion qui aveugle fréquemment l’œil et qui assourdit quotidiennement l’oreille.

Un seul regret dans ces exceptionnelles longues et agréables soirées estivales d’Er-Rahba, c’est l’absence de Fatiha, de Hasna-Mondhra, de Tareka, de Khemaïsa, de Rachèda, et de Aziza, pour combler les lacunes du moment et pour compléter la bonne ambiance de ces belles et plaisantes veillées sociales. Alors, la balle est dans votre camp, mesdames et demoiselles Ksibiennes ; imposez-vous, et prenez place, parmi ces irréductibles garçons, à l’exemple de la nonagénaire, Dada Hlima, mère du patron Abdeljalil, qui est là tous les soirs dans sa chaise roulante, entourée de quelques jeunes qui n’arrêtent pas de rigoler en appréciation de ce qu’elle leur raconte comme plaisanteries du passé. Donc, Er-Rahba est à vous, Sayyidaties-Awanicies (mesdames-demoiselles), comme dirait Bourguiba dans sa tombe !

 

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Commentaires
B
J'aime bien ces promenades tunisiennes qui nous sortent de notre pré-carré hexagonal, j'aime bien ce ton, à la fois très chaleureux et néanmoins légèrement ironique, merci Abdelaziz.
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