Maison…
Catherine Bierling
Juste avant ma naissance, mes parents avaient acquis une vieille maison en Picardie, dont voici la description faite par l’agence :
Oise, Région Nord du Beauvaisis
Une petite propriété rurale
(à remettre en état)
Désignation : La propriété est constituée par :
Deux petites REMISES, construites en matériaux divers, en bordure de la rue, avec sur le côté : PORCHE COUVERT, l’ensemble vétuste, mais utilisable.
Par ce passage, on pénètre dans une grande cour en herbe. Sur le côté, petits bâtiments sans valeur. Au fond de la cour est la MAISON D’HABITATION. Celle-ci est construite en briques, pierres, bois et torchis, sous couverture d’ardoise. Elle comporte :
Au rez-de-chaussée : UNE SALLE COMMUNE (4 m x 3 m env) briquetée au sol. Cheminée paysanne. Grand placard. Hauteur : 2 m 30. Poutres apparentes. Trappe (à revoir) pour la descente à la CAVE. Fenêtre et porte sur la cour. De cette pièce, on entre dans une CHAMBRE (4 m X3m env) également briquetée au sol. Cheminée en angle. Fenêtre sur la cour. De l’autre côté de la pièce commune, porte sur un grand CELLIER (pouvant être éventuellement aménagé en pièce supplémentaire). À l’étage autre CHAMBRE, à laquelle on accède par un escalier (porte sur la cour). Au-dessus : GRENIER.
La maison est à remettre en état. Électricité non installée (mais passant dans la rue)
Eau de ville, également à brancher (conduite dans la rue)
À la suite : JARDIN attenant, clos de haies (environ 330 mètres)
SITUATION : Cette petite propriété est bien située, dans un gros village du Beauvaisis, parmi les prés plantés de pommiers. Plusieurs fournisseurs sur place. Nombreuses fermes. D’autres fournisseurs passent régulièrement, venant du bourg. Sur place, trois ou quatre fois le jour, dans chaque sens, car pour Beauvais et pour le bourg. Paris, par la route à 90 kilomètres.
Pays de chasse. Air très sain.
Avant que je ne prenne connaissance de cette description retrouvée bien plus tard dans les papiers de mes parents, je ne connaissais les débuts de la maison que par ce que mon père m’en racontait. C’était comme un jeu entre nous. Raconte-moi la maison ! Cela me tenait lieu de genèse, comme mon papa me tenait lieu de Bon Dieu.
Au commencement, il n’y avait rien, ou presque. Il dramatisait peut-être un peu, mais pas tant que ça… Mon papa a tout changé, séparé le jour des ténèbres, le froid du chaud. Il a mis de l’ordre dans le chaos où je suis née. Il a fabriqué une fenêtre, là où était la porte, transformé le cellier en cuisine, la cuisine en chambre. L’escalier extérieur, il l’a mis à l’intérieur. Il a cimenté, linoléumisé le sol de terre battue du cellier, a ajouté une arrière-cuisine. En la comblant, il a fait disparaître la cave et fabriqué de solides volets verts pour les fenêtres. Mon papa est un créateur, mon papa est un démiurge. Plus tard, l’eau et l’électricité — mais vraiment bien plus tard, car je me souviens de leur arrivée — ont traversé la cour pour se brancher chez nous.
Mon papa savait faire tant de choses : peindre, tapisser, poser des vitres — j’aimais l’odeur du mastic —, faire du ciment. Plus tard, installer une fosse septique. Recouvrir le toit lorsque les ardoises s’envolent, rafraîchir la façade qui s’écaille sans cesse. Cette maison est son « work-in-progress ». Son courage et son obstination semblent sans bornes. Pendant vingt ans, je le verrai bricoler, assécher, rogner, rajouter, recommencer éternellement la même œuvre, cette maison qui suintera toujours l’humidité, parce que construite à même le sol, sans fondations. Et puis un jour, il jettera l’éponge et la vendra, ne voulant plus rien retenir du temps qu’il a passé là et de l’énergie qu’il y a investi. Mais à l’époque de ma petite enfance, ma maison pousse comme un champignon bizarre. Et je n’imagine même pas que l’on puisse vivre autrement que sans eau et sans électricité, avec pour tout chauffage l’imposante cuisinière qui trône dans la grande pièce et ne réchauffe guère les chambres.