De la résistance
Pierre Kobel
On entend souvent dire que les Français sont des râleurs perpétuels. À l’heure où sont annoncés de prochains vaccins contre le Covid, notre pays est celui qui exprime la plus grande méfiance à l’encontre de la vaccination. Protestations inutiles ? Non, je préfère penser que cela relève de l’esprit de résistance et est une preuve d’intelligence. C’est la volonté de ne pas être mené par le bout du nez sans rien comprendre. Une société ne peut être d’ordre si cela signifie soumission sourde et aveugle.
Depuis le début de cette crise, on est passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel quant à notre état d’esprit, dans un prisme qui va de l’abattement et de la résignation à la révolte et la colère. Déjà la menace d’une troisième vague du COVID alors que nous sommes encore dans la deuxième. Le moral baisse, on ne voit pas le bout de l’affaire et les vaccins qu’on nous promet pour bientôt interrogent, voire inquiètent, au moins autant qu’ils devraient rassurer. Je suis de ceux qui ne se permettraient pas de donner de leçons à un pouvoir qui a du fait face avec presque autant d’incertitudes que nous et a cependant la responsabilité de devoir prendre des décisions et de les faire adopter au risque de toutes les oppositions qui, de nos jours, partent dans tous les sens jusqu’à celui d’un complotisme imbécile.
Non ce qui me contrarie, c’est le traitement de masse qu’on nous impose, comme si l’appel à l’intelligence n’était plus possible. Aujourd’hui quand on nous parle de « tests de masse », de « vaccination de masse », j’entends résonner en écho à ce mot de masse, celui de la masse qui sert à engourdir la bête qu’on veut tuer, la masse des bouchers, je soupçonne tous les ressorts de la manipulation, de masse justement, je devine la conviction pateline pour conduire le bon peuple là où on veut, l’autorité pour étouffer les quelques voix qui ne se soumettent pas au discours protecteur.
Si la situation est grave doit-elle empêcher la réflexion de tous ? On nous a étourdis depuis des mois avec les avis des spécialistes de tous poils qui pullulent dans les médias, sollicités souvent plus parce qu’ils sont de bons clients que pour leurs compétences. Ils ajoutent au brouillard de l’information quand prendre du recul suffit à réfléchir un peu plus loin que le bout de leurs opinions péremptoires.
Et je ne peux que penser à l’esprit de résistance qui anima quelques esprits libres quand tous pliaient à l’heure de la défaite. Et j’entends la voix des poètes qui furent de ceux-là, la voix de mon cher Robert Desnos, debout jusqu’à la fin, jusqu’à sa fin.
Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force
De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir.
Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.
Robert Desnos, in Destinée arbitraire, © Gallimard
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