Force de la poésie
Bernard M.
J’étais, tous ces derniers jours, complètement envahi, voire débordé, par mille tâches qu’elles soient d’ordre privé et familial ou qu’elles soient liées à l’APA, longue transcription et articles pour la revue, multiples correspondances et tâches administratives, d’autant plus prenantes en cette période où nous n’avons pas de salarié à Ambérieu. À quoi s’ajoute le temps beaucoup trop long que je passe à suivre l’actualité, une actualité qui n’a rien de réjouissant, lecture du Monde, la version papier plus des articles en ligne sur mon téléphone, quelques émissions à la télé (même si, tout de même, je résiste aux tunnels de paroles des chaînes tout info !) Bref, envie de fuir…
Je ne suis en général pas trop branché poésie. Ni pour la lire ni pour la pratiquer. Quoique j’ai plaisir à lire ce qui en est dit dans notre blog par ceux qui ont ce goût comme Pierre, notre hôte en ces lieux, et d’autres. Mais quoi de mieux cependant, pour s’évader, que de partir en poésie ? Pierre m’avait gentiment donné deux plaquettes de ses productions dans ce domaine. Je les avais survolées dans le train et là, je les ai reprises de plus près, par une lecture plus attentive, plus lente, écoutant les mots, la façon dont ils s’entrechoquent, les fenêtres qu’ils ouvrent sur l’imaginaire. Une envolée bienvenue et que renforce encore le fait que les textes viennent en dialogue avec de beaux dessins à la plume, eux-mêmes stimulants pour l’imagination.
Du coup j’ai eu envie d’aller voir le dossier Poésie qui dort dans mes archives et que je n’avais pas ouvert depuis des années. J’y retrouve Mon anthologie poétique, une cinquantaine de pièces aimées que j’avais transcrites. Certaines connues depuis le lycée, d’autres découvertes plus tard au hasard du parcours de diverses anthologies. Des classiques donc, souvent un peu scolaires, ce n’est pas le résultat d’une exploration véritable de ma part dans des œuvres complètes. Et limitées dans le temps, entre Charles d’Orléans et Apollinaire, sans rien de la poésie contemporaine, de la poésie vivante, en train de se faire. En les réunissant mon idée était de les mémoriser pour pouvoir les convoquer à tout moment, me les réciter en silence ou les déclamer pour moi-même. Je n’y suis jamais parvenu et j’ai laissé tomber, gardant en mémoire seulement, et pour un temps, quelques sonnets de Baudelaire, mes plus aimés.
Dans ce dossier Poésie il y a aussi mes propres productions. Datant pour une part de l’adolescence, des textes pompeux et maladroits, pour une autre part, de la fin des années 70 en des moments de tourments amoureux, quelques-uns du début des années 90. Et puis il y a un ensemble d’une vingtaine de poèmes, parfois très courts, presque des haïkus, parfois plus longs. Ils sont datés du 17 au 28 juillet 1994 et portent le titre général : Impressions marocaines. C’était lors d’un voyage assez sportif. Nous avions traversé le Haut Atlas du nord au sud, une succession de chaînons parallèles qu’il fallait franchir par des cols souvent à plus de 3000 m d’altitude avant de redescendre dans les vallées successives. Pourquoi donc cette fois-là, cette unique fois parmi bien d’autres voyages, m’étais-je mis à écrire sous cette forme, plutôt que de me contenter de notes factuelles non travaillées, comme je le faisais d’habitude, juste pour avoir des repères pour légender mes photos ? Porté par l’exaltation du voyage ? Parce que c’était une bonne activité au moment de la sieste ou du bivouac ? Je ne sais.
Je les relis. Et les mots font remonter les souvenirs de façon bien plus puissante, bien plus incarnée que les photographies de ce voyage que j’ai pourtant en grand nombre.
Thé
Après la lumière aveuglante, les épais murs d’ocre
Sont un tunnel où nos pas tâtonnent.
La salle aux tapis de laine,
Les naïfs décors peints sur le mur,
La vieille pendule et la photo du roi,
Le chapelet où égrener les noms du Dieu Unique,
L’étroite trouée de lumière derrière les fers ouvragés
Et le thé lentement versé et sa fraîche brûlure.
Gorge
Les tourbillons glacés sur mes cuisses,
Dans mes oreilles, le fracas du torrent
Qu’amplifient les hautes parois sur nos têtes,
Je suis ivre et sensations et de bruit.
Portes du Sud
Dans la vallée qui s’élargit
Plus d’arbres aux crêtes sous l’éclatante lumière,
Les pieds dans l’eau, les verts lauriers,
Tournent vers nous leurs bouquets colorés,
Bienvenue est la halte sous le tunnel des figuiers.
Oui, je revois intensément cette pièce où nous avons été chaleureusement accueillis et où nous avons dégusté un thé bienfaisant et je crois sentir encore, sur mes mollets et mes cuisses, la fraîcheur vive de l’eau glacée du torrent !