De quelques lettres et de ce qui s’ensuit
Pierre Kobel
C’est d’abord un jeune homme, un jeune Africain, tirailleur sénégalais tombé sur le front en septembre 1944 pour libérer un territoire, loin de chez lui. « Force m’est de constater, avec un sentiment de honte, que vous avez donné vos vies pour des valeurs humaines qu’on était loin de vous accorder chez vous, et dont vous serez encore exclus à l’issue des combats. »
C’est ensuite ce lieu, la colline de Ronchamp et la chapelle Notre-Dame, érigée en 1955 sous l’égide de Le Corbusier, fruit d’une longue projection. « Notre devoir impératif est de faire de Ronchamp une voix, non pas d’un artiste valable ou pas valable, mais une voix illimitée venant des siècles les plus lointains et arrivant aux heures les plus modernes aujourd’hui. » écrit-il en 1964.
C’est aussi une petite fille dont la grand-mère habite non loin, une petite fille devenue l’auteur des lettres et qui, à travers elles, part à la recherche de sa mémoire et de ce qu’elle signifie.
C’est enfin une « méditation sur le temps, sur la mort, sur le mal, entre détresse et espérance […], hommage à ce qui, en dépit de l’obscur, résiste et luit en chacun de nous. » écrit l’éditeur en 4e de couverture.
Et tout cela c’est ce livre aux modestes dimensions, mais d’une profonde résonance. Il s’inscrit dans l’œuvre, pour moi essentielle, de Françoise Ascal qui, depuis longtemps, mêle l’intime, l’autobiographique et une réflexion propre à éveiller nos consciences collectives. Françoise ne se dit pas poète, son territoire d’écriture ne se suffirait pas à la poésie. Elle sait l’insuffler là où sa place est propice dans une écriture dont les frontières sont beaucoup plus larges et qui va au creuset de nos existences.
Vendredi 29 novembre 2002
J’attends l’hiver à venir, Simon.
Debout.
Campée sur de solides incertitudes.
J’attends que germent en moi ton silence, ta leçon inaudible, ton cri rentré.
J’attends que colline et chapelle et mémoire se soulèvent ensemble, dans une même respiration apaisée, unissant ton histoire et la mienne, celle d’un architecte inspiré reposant au soleil, celle d’Adèle enterrée à deux pas, celle du passant anonyme venu de l’autre bout du monde…
Debout.
Irriguée par une joie timide, mais irrépressible,
– et pointent les perce-neige en février !
J’attends cela qui n’a pas de nom, ce quelque chose qui dure sous ce qui se passe.
En dépit des nuits, des peurs, de nos fragilités.
Ce qui dure serait plutôt ce qui efface.
Ce qui dure ne dure même qu’en effaçant.
J’attends la montée de l’aube qui n’attend rien en retour.
P. 73
Bibliographie
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Un automne sur la colline, © Apogée, 2003
Internet
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La Pierre et le Sel | Françoise Ascal, l’Arpentée