Dormir ou ne pas dormir…
Catherine Bierling
J’ai reçu à ma demande pour Noël le livre de Marie Darrieussecq « Pas dormir » (POL. 2021).
J’avais entendu une bribe d’interview et le titre m’avait fait dresser l’oreille, tant je suis familière du phénomène.
Par chance, je ne suis pas aussi absolument insomniaque que la romancière. Il m’arrive de dormir plusieurs nuits de suite sans problèmes majeurs, mais il m’arrive aussi de ne pas dormir plusieurs nuits de suite sans aucune raison apparente. Ce ne sont pas les soucis de la vie diurne transportés dans la nuit qui m’empêchent de dormir. Comme les « vrais » insomniaques, je me retrouve parfois, mais pas systématiquement, devant l’absence totale de possibilité de trouver le sommeil, comme devant une énigme que je ne parviens pas à résoudre.
La première phrase du livre me parle immédiatement : « J’ai perdu le sommeil. Je me suis retournée sur mes pas et il ne me suivait pas. Il s’était détaché de moi, et j’errais sans lui dans la nuit. » (p.7)
J’ai écouté après lecture les critiques du « Masque et la plume. » Ceux qui trouvaient le livre « profondément soporifique » et ceux qui l’appréciaient, dont une femme elle-même insomniaque. Peut-être faut-il l’être un peu pour pénétrer profondément dans cette problématique ?
On reproche également à l’auteure qu’une partie du livre ne soit qu’un collage de citations. C’est en partie exact, mais il n’est pas inintéressant de constater combien d’écrivains sont insomniaques. Entre Proust, Pessoa, Kafka, Woolf, Plath, Dostoïevski, Duras et tant d’autres, on se retrouve en bonne compagnie.
Cioran déclare que : « l’insomnie, c’est la plus grande expérience qu’on puisse faire dans sa vie. » (p.9) Et M. Darrieussecq se pose la question que je me pose aussi : « D’où vient l’insomnie ? Qu’est-ce qui ne dort pas quand je ne dors pas ? » (p. 10/11) « L’insomnie sans raison, métaphysique » (p.21) comme le dit Marguerite Duras, est à différencier de l’insomnie occasionnelle, ayant une cause précise.
À la page 38, une photo de tous ses somnifères réunis peut faire sourire celui qui reconnaît au passage quelques petits flacons dans lesquels il a déjà puisé.
Le chapitre « j’ai tout essayé », avec récapitulation de tous les trucs pour piéger le sommeil me fait sourire également, car il me rappelle les conseils multiples des bons dormeurs bien intentionnés qui ont toujours LA formule magique pour nous faire sombrer illico dans les bras de Morphée. Malheureusement, celle-ci ne fonctionne guère lorsque l’insomnie s’est bien installée pour la nuit sur mon oreiller…
Elle cite pêle-mêle la tisane, l’acupuncture, l’ostéopathie, le yoga, la méditation, l’alcool, les somnifères, l’hypnose, les rituels, la lecture… qui n’ont que peu ou pas d’effets sur elle.
Une partie assez longue du livre est dédiée aux voyages qu’elle a pu accomplir dans des contrées lointaines comme la forêt primaire en Afrique et décrit aussi les lits, les lieux, les chambres, les hôtels où elle n’a pas dormi.
L’insomnie des traumatisés qui ont sans doute peur des cauchemars est aussi mentionnée, ainsi que le sommeil des animaux. « Ils dorment et nous veillons », disait Daubenton, mais elle retourne la formule : face à la disparition rapide des espèces animales, c’est nous qui dormons.
« Les livres que nous lisons à nos enfants sont pleins de tigres, d’ours et de lions… nous accordons pensée et parole aux animaux, mais en les affublant de notre humanité… et nous cachons le plus longtemps possible à nos enfants que leurs compagnons du coucher sont “en voie de disparition”… l’absence à venir des tigres et des lions… qu’est-ce qui nous manquera quand le dernier orang-outang sera mort ?... Une façon d’être… leur invitation à nous demander qui ils sont ; donc à nous demander qui nous sommes… leur disparition nous diminue. » (p.276 à 280)
Le thème de ce chapitre est peut-être éloigné de celui de l’insomnie, il n’en est pas moins crucial. Il y a certes un côté hétéroclite dans ce livre, mais il n’est pas pour me déplaire. « C’est un fourre-tout de copié-collé », dit un critique du « Masque et la plume », mais c’est aussi « un livre transgenre qui mêle autobiographie et récit de voyage. » (j’ajouterai questionnement sur notre propre être.)
J’aime cette idée d’écrit transgenre qui me fait voguer à la recherche de mes propres rêves et de mon sommeil perdu que je suis parfois obligée de forcer à venir en utilisant une de ces petites pilules blanches, « l’hostie de l’insomniaque » (p.53) qui donnera enfin accès au repos…
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P.O.L. | Marie Darrieussecq, Pas dormir