Chroniq’hebdo | De Maman, de la guerre et de l’amitié
Pierre Kobel
Douceur des mains
Sur le damier du monde
C’est ainsi qu’à l’orée de la vie
Tu tisses l’amitié des couleurs
Pelotes du cœur
Dans l’éternité du souvenir
Les aiguilles du tricot
Tournent sur le cadran de l’âge
Chaque carré est
Un nouveau pays
Une maille à l’envers
Tu repousses les murs
À la force de la laine
Une maille à l’endroit
L’existence se trouble lorsque l’actualité inquiète et douloureuse se mêle d’épreuves personnelles. Une semaine après le début de l’offensive des Russes en Ukraine, ma famille et moi conduisons ma mère au cimetière. Au-delà de la coïncidence chronologique, il n’y a rien d’incongru à rapprocher les deux événements.
D’abord parce que toutes les existences, peu ou prou, sont traversées à la fois par le collectif et par l’intime. Il suffit de considérer les deux années que nous venons de vivre pour mesurer combien la vie sociale, la gouvernance politique impactent notre quotidien, notre psychisme, nos résistances et notre perception globale du monde. Ensuite parce que je considère les 95 ans de ma mère, sa trajectoire de Française « moyenne », de la banlieue parisienne à un village aubois qui aura été sa plus longue résidence, de sa grande vieillesse en EHPAD jusqu’à sa mort dans le sommeil. Une petite flamme qui s’éteint après une vie simple, souriante, empreinte d’affection familiale pour ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants qui étaient le cœur de ses préoccupations. Et je ne peux que mettre cela en parallèle de ce que je vois et entends des populations en Ukraine qui fuient les bombes, de ces vieilles gens éplorés qui, en quelques heures, voient s’effondrer les repères de toute leur existence. Quand je pense à la vie de Maman, je sais que Poutine n’a pas le droit d’agir comme il le fait. Rien à voir avec le droit international, les conventions internationales, la géopolitique ou même la morale. Il n’a pas le droit parce que la guerre est antagonique à l’humain, parce qu’aucun intérêt, qu’aucune inimitié, qu’aucune différence ne pourra la justifier. Et en cela, cet homme n’est pas humain. De tels gouvernants ont perdu le sens du réel, ils sont déshumanisés au sens premier du terme, ils ne sont que les marionnettes de leurs propres obsessions qui les aveuglent à toute considération d’autrui.
*
J’écris cela alors que je viens de recevoir le nouveau numéro de La faute à Rousseau. À le parcourir et sans même l’avoir lu intégralement, j’y trouve de l’apaisement, de cette chaleur amicale qui nous relie au-delà des parcours, des origines, des âges différents. Au moment où nous nous concertons pour le titre du livre qui célébrera les 30 ans de l’association, cette Chère APA est plus que jamais le symbole de l’humanité partagée.
Et tant pis pour Poutine !
*
À l’heure de clore cette Chroniq’hebdo, je reçois ces vers de Renata Ada Ruata que m’adresse une amie apaïste :
Et rester vivre là où
Des voix du monde se mêlent
Aux cris d'oiseaux des mers
Là où comme le sable
On se ridera de vent et de sel
Là où le soir tombe
Simple et solennel
Révélé comme un secret