Chez les grands
Nadine P.
En CM1, traversée de la cour pour aller chez « les grands ».
Porte-plumes dans les plumiers en bois, même si dès 1965 on avait eu le droit d’écrire au stylo à bille, la campagne n’avait pas dû en être informée. L’encre violette était distribuée dans l’encrier en céramique le samedi après-midi.
Le bureau de l’instituteur était sur une estrade. Derrière lui, un tableau noir à deux pans s’ouvrait chaque matin sur la morale du jour.
J’aimais la place que j’occupais contre le mur, elle me permettait de toucher discrètement les courbes des Pyrénées, les creux des vallées sur les cartes en relief. J’étais cependant loin du poêle à bois. Ma mère nous faisait porter plusieurs couches de vêtements sous notre blouse à carreaux pour nous tenir chaud. Sous les porte-manteaux en hiver, étaient glissées les bottes et les « chaussinettes » qu’elle nous tricotait, des surchaussettes pour que les kilomètres parcourus entre la maison et l’école ne nous glacent pas trop.
Les sévices du maître étaient variés. Coups de règle sur les doigts, tampons pour effacer le tableau envoyés à travers la classe, gros dictionnaires posés sur les mains tandis que l’élève puni était à genoux sur l’estrade et, ultime punition : enfermé dans le noir dans le placard à balais sous l’estrade.
Autre frontière que celle de la cour entre filles et garçons, celle qui ne s’effacerait jamais entre ceux qui partiraient deux ans plus tard pour continuer leurs études, dont ma sœur et moi, et ceux qui attendraient l’âge l’égal pour travailler dans les champs après avoir passé le Certificat d’Études Primaires. J’ai perdu là de bons camarades dont un grand nombre est resté au village.
Dès toute petite, je n’aimais pas les cases, les ordres illogiques et la rigidité qui se joignait aux règlements. L’école avait de ça, je le percevais, mais elle était aussi gage d’horizon plus large, d’un ailleurs qui existait tout près de chez moi, je le savais.
Collège et lycée
Besoin de comprendre toujours plus, je remettais en question les affirmations. « Mais comment sait-on que l’auteur a voulu dire ça ? Vous dites que ça fonctionne de cette façon la dynamo, mais… » questionnements perpétuels qui agaçaient plus d’un professeur.
Ce n’était bien sûr pas obligatoire, mais nous pouvions passer le « Certif » en début de collège, un entraînement aux examens, disaient mes parents. Nous fûmes trois seulement dans ma classe à nous y présenter.
Chant ou récitation, tirage au sort., poésie contre La Marseillaise, le Chant des Partisans ou Chant du Départ, titres imposés. Les garçons commençaient de muer, ils n’en menaient pas large, les filles, elles, avaient depuis longtemps fait leur choix entre poèmes et chants guerriers. Ouf ! « Demain, dès l’aube… », comment oublier ?
Autre choc en 4e, En attendant Godot. Un professeur passionné au milieu d’élèves qui s’ennuyaient sans se cacher et attendaient l’heure de la sortie sans plus attendre Godot. Mon premier grand émoi littéraire entre l’histoire, la narration et me sentir aussi pour la première fois différente de mes camarades.
Puis le lycée, l’internat à la Grande ville. Loin tout à coup de la vie familiale et de ses codes. Box étroits, lits face à la grande allée, cantine bruyante, cours barbants (économie et gestion) et passionnants (français et… français !). Bien qu’enfermée, découverte de la liberté, des prises de positions politiques, du bruit et des cafés où on refait le monde, de l’écriture à inventer pour les amies transies d’amour pour un jeune blanc-bec.
Redescendre du dortoir en chaussons et pyjamas pour travailler et se retrouver.
Cris de joie à la mort de Franco, pleures hystériques de pensionnaires à la mort de Mike Brant. Des mondes qui cohabitent, mais se mélangent peu au lycée sauf à l’internat, mélangés comme dans les rues de mon village.
Puis mort du père quand je suis en 1ère, expulsion de la maison par l’employeur.
Brusque face à face avec la vie d’un côté et les études de l’autre, les choix.