Chroniq’hebdo | De Hugo Pratt, de la médecine, du dopage et des vacances

 Pierre Kobel

  Les livres font voyager, je ne suis pas le premier à le dire. Voyages dans l’espace, voyages dans le temps et plus encore peut-être voyages en nous-mêmes. Paolo Cossi a consacré trois volumes à une biographie en BD de l’immense Hugo Pratt. Il y laisse toute la part à la propension de ce dernier à s’inventer des vies multiples et à brouiller toutes les pistes d’une vérité qui n’est qu’une illusion. « Je connais au moins treize façons de raconter ma vie et je ne sais s’il en existe une qui corresponde à la réalité ou si l’une est plus vraie que l’autre. » disait Pratt.

 Alors que mes amis se sont réunis à Ambérieu pour des journées d’échange, d’apprentissage et de réflexion, dans une mise entre parenthèses amicale de l’existence, je me demande aussi à quelle réalité, ils se confrontent, quel est l’écart entre ce que nous vivons et le récit que nous en faisons ?

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 À fréquenter le milieu médical depuis une semaine, je me demande : ne sommes-nous que des corps ? Des organes ? Des dossiers ? En un mot, seulement des patients qui ne doivent faire preuve que de soumission et… de patience ! Ce n’est pas que j’ai été mal reçu, mal soigné, à l’hôpital ou ailleurs. Mais je ne sens pas une véritable relation humaine, juste une attention professionnelle, distante, polie, rapide. L’efficacité et la gestion rationalisée de la pratique priment sur l’humanité. Le temps d’une consultation, d’un examen, la relation est là, mais avant et après, tout repose sur des protocoles informatisés qui ne laissent aucune place à la prise en compte de la personnalité du malade.

 Et je me dis que j’ai la chance de posséder le langage, la possibilité de m’exprimer, d’interroger, voire de résister à ce que je ne comprends pas. J’y pensais lorsque j’étais aux urgences qui sont le lieu de la plainte, de la perte de soi, du désarroi et aussi de la misère sociale.

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  Je suis les étapes du Tour de France. Le jeune slovène Tadej Pogačar est déjà en jaune. Et toujours des soupçons de dopage quand on le voit partir sans effort apparent dans les étapes de montagne et grimper les lacets en affolant les compteurs là où les autres peinent à la suivre. N’en déplaise à ceux qui dénient les soupçons, les performances hors-normes de ce garçon ne peuvent que les éveiller et interroger quant à la réalité de sa domination.

 C’est tous les ans pareil. On assiste à la suprématie d’un coureur, d’une ou deux équipes. Pour la vitrine et l’image de marque du Tour, on en rajoute dans les superlatifs, on s’émerveille des exploits sportifs et on efface tout ce qui dérange. Louer Anquetil, Merckx, Hinault, Indurain parce qu’ils ont gagné cinq fois l’épreuve en taisant soigneusement le nom de Lance Armstrong qui l’a gagnée sept fois parce qu’il a été déclassé pour avoir avoué s’être dopé, c’est d’une hypocrisie insigne. J’ai du mal à croire que les quatre premiers ne se dopaient pas. Et quel malaise d’entendre d’anciens coureurs devenus consultants, directeurs sportifs, clamer haut et fort leur conviction que Pogačar est propre quand eux-mêmes et leur équipe ont traversé tous les scandales de l’EPO !

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 Tandis que j’écris, le Tour passe à Arbois dans le Jura. C’est près de là que j’ai vécu la seule colonie de vacances à laquelle j’ai participé en 1964. Si j’ai un souvenir agréable des lieux et particulièrement du chemin qui nous conduisait à la ville les quelques fois où nous nous y sommes rendus, j’étais revenu de ce mois de collectivités en jurant que je ne m’y ferai pas prendre une deuxième fois. Je n’étais pas préparé à cette expérience. Ma vie était familiale et personnelle, loin des contraintes et des compromis nécessaires de la vie de groupe. J’évoque cela alors que nous sommes déjà installés dans cette période estivale propice aux vécus particuliers, aux rencontres insolites, aux temporalités décalées, à la mise en pause des habitudes et du quotidien répétitif.

 Des souvenirs de vacances tels ceux que j’invite les correspondants de ce blog à en envoyer, j’en ai beaucoup. C’est en vacances que j’ai acquis le goût de la marche, que j’ai découvert une nature diverse et riche, c’est en vacances que j’ai connu mes premières expériences amoureuses et sensuelles, c’est là que j’ai fait de longues lectures qui ont nourri mon esprit pour le reste de mes jours. Quelles rencontres ferai-je cette année ? Quelle projection en avant me permettront ces mois d’été entre soleil heureux et chaleur menaçante ?

 

Internet

• Wikipédia | Hugo Pratt

Comments

[Jasmine schwarz]

Cher Pierre, je comprends ce que tu as pu ressentir en fréquentant le milieu médical où une forme de déshumanisation se généralise, accentuée par les manques de moyens, les études n'abordent pas ou très peu la psychologie, les examens reposent uniquement sur des QCM, l'hôpital est basé sur la rentabilité etc.... Au cours de ma vie j'ai compris que médecine et justice était les deux milieux à éviter au maximum, ce qui n'est malheureusement pas toujours réalisable!