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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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28 avril 2023

Papi et Mami d’Annecy

Bernard M.

logo_nos_aieuxHoulà, je m’aperçois que nous approchons de la deadline dans la collecte de souvenirs sur nos grands-parents. J’ai beaucoup évoqué mes grands-parents paternels et notamment ma mamie Cécile, je m’en voudrais de ne pas écrire quelques mots sur mes grands-parents maternels.

D’une certaine façon cela s’explique. D’une petite dizaine d’années plus âgés que mes grands-parents paternels, ils nous paraissaient beaucoup plus vieux alors qu’ils ne l’étaient pas tant que cela. Mais il n’y avait pas les mêmes rapports de complicité, presque de camaraderie. Ils semblaient d’une autre génération.

C’était Papi et Mami d’Annecy versus Papi et Mamie de Toulouse. Les vacances étaient strictement partagées, nous en passions la moitié chez les uns, l’autre moitié chez les autres. Mami d’Annecy était censée être ma marraine comme Papi de Toulouse était censé être mon parrain. Mais, dans cette famille plutôt déchristianisée, voire anticléricale du côté maternel, mon baptême n’avait été qu’un rituel très artificiel et dicté par les habitudes sociales.

Mami était d’origine belge, c’était une dame très discrète, très douce, très gentille et au caractère égal. Bien différente à cet égard de son époux, un homme très généreux, très bon, mais au caractère pas toujours facile, sujets à des sautes d’humeur. Je ne suis pas très sûr des conditions de leur rencontre, je crois avoir entendu dire qu’ils s’étaient rencontrés à Grenoble où Mami était réfugiée, à la toute fin de la Grande Guerre.

La carrière de mon grand-père, petit-fils de paysans savoyards, fils d’un instituteur et d’une institutrice, était caractéristique des parcours d’ascension sociale de la 3° république. Lui-même était ingénieur des arts et métiers, son frère aîné polytechnicien. Ils ont fait toute leur carrière ensemble et ce fut sans doute un problème pour mon grand-père de ne pas s’être émancipé de son brillant grand frère. Au tout début des années 20, ils partent en Roumanie sur les champs pétrolifères de Ploesti. C’est là que ma mère est née en novembre 1922. Elle fera toutes ses études en roumain tout en suivant la scolarité française avec l’École Universelle avant d’être envoyée seule comme interne au lycée d’Annecy pour les classes de 1° et de terminale. Ma grand-mère a pu rejoindre la France peu avant la guerre tandis que mon grand-oncle et mon grand-père restaient sur place, effectuant le sabotage de certaines installations pour qu’elles ne tombent pas aux mains de l’Axe, avant de rejoindre la France en effectuant un vaste périple au travers du Moyen-Orient, la route de l’ouest étant coupée. Après-guerre, les deux frères participeront à l’aventure de la Société Nationale des Pétroles d’Aquitaine et notamment à l’exploitation du gisement de Lacq près de Pau.

Ma mère était restée très marquée par son enfance roumaine. Elle aimait s’exprimer en roumain et nous avons toujours gardé dans le vocabulaire familial quelques mots de cette langue, on n’était jamais mal peignés, mais plutôt « tchoufoulit » et quand il fallait se hâter pour partir elle nous disait « Gata ? Mergem ! » (orthographe non garantie). Les voyages que nous avons pu effectuer en Roumanie au milieu des années 60, pendant une brève période de légère libéralisation de la dictature de Ceaucescu, furent une très grande joie pour elle. Nous avons pu rendre visite à certains de ses amis. Nous avons traversé l’Europe centrale, la voiture chargée de toutes sortes d’objets et produits manquants sur place. Je me souviens de l’accueil tellement ému que nous a réservé une très vieille dame, la veuve d’un des collègues roumains de mon grand-père dans la grande villa qu’elle occupait dans le quartier des ingénieurs, c’étaient des villas de fonction, la maison d’enfance de ma mère était exactement semblable. Je garde sur la langue le souvenir de la confiture de roses, servie dans de petites coupelles, qu’elle nous a offert à notre arrivée avec un grand verre d’eau glacée, un émouvant rite d’accueil. Bien sûr la maison était désormais partagée, elle n’en occupait plus que le rez-de-chaussée, mais, au moins, n’en avait-elle pas été complètement expulsée.

Après sa retraite mon grand-père avait quitté Pau et regagné sa région natale. Les vacances chez eux étaient agréables, nous profitions du lac et de promenades en montagne avec mes parents. Mais j’y ressentais aussi quelque chose d’un peu triste, je m’y ennuyais souvent, entouré de personnes âgées, sans aucun jeune avec qui m’amuser. C’est un effet des familles étriquées, ma mère comme mon père étaient enfants uniques et je n’avais donc aucune cousinade. J’ai des souvenirs d’interminables après-midi ou soirées, occupées à lire, ce que j’aimais certes, mais j’avais le cœur gros et me sentais envieux en voyant passer des bandes joyeuses de jeunes en colonie de vacances. Mais il n’en était pas question pour moi, faire faux bond à l’attente des grands-parents trop heureux de nous accueillir moi et ma petite sœur, n’était simplement pas envisageable.

Souvent nous déjeunions au restaurant avec mes grands-parents, soit en bord de lac, soit en montagne dans les Bauges ou les Aravis. Nous faisions des promenades, eux nous attendaient au restaurant, parfois ils faisaient quelques pas avec nous. À l’une de ces occasions, trouvant que la troupe marchait vraiment lentement, je m’étais éloigné un peu impétueusement sur les chemins. Lorsque nous nous étions retrouvés, mon grand-père qui s’était effrayé m’avait administré une correction : il m’avait donné, avec des feuilles d’orties, quelques coups sur les mollets… Ma grand-mère et mes parents en avaient été choqués et lui ont enjoint d’arrêter ce qu’il fit en grognant, mais lui n’y voyait rien de répréhensible.

Nous passions traditionnellement Noël à Annecy. Je me revois avec ma grand-mère fourrant la dinde de châtaignes. C’était une excellente cuisinière, elle avait également rapporté de nombreuses recettes de Roumanie, comme ma mère d’ailleurs. Le 24 au soir, pendant que nous dormions, les adultes installaient le sapin et les cadeaux autour, que nous découvririons au réveil. Autre réminiscence roumaine : une fois l’installation terminée, ils faisaient vers minuit un souper léger à base de saumon fumé, de caviar, de blinis et de vodka ou de tsuica, un alcool de prune roumain. Et le lendemain c’était, en présence de la veuve du frère de mon grand-père et de plusieurs vieilles cousines, le grand repas de Noël au menu immuable, des œufs mimosas au crabe, la fameuse dinde aux marrons et la bûche pâtissière.

Mon grand-père a commencé à décliner sérieusement au cours des années 60, souffrant d’artério-sclérose. Il me paraissait de plus en plus ralenti, tant physiquement qu’intellectuellement. Ma grand-mère était au contraire toujours vive et pétulante. Et pourtant c’est elle qui est partie la première, ses intestins dévorés par un cancer que l’on n’avait pas vu venir. Mon grand-père ne lui a survécu que trois semaines. Ils avaient 72 et 76 ans. Comme ils paraissaient vieux, alors que pourtant ils avaient seulement l’âge auquel j’atteins maintenant !

Je me livre désormais chaque fois que je vais chez mon père à des explorations pour mettre de côté les éléments qu’il faudra conserver au moment où l’on fera le grand ménage de son appartement. Ces jours-ci je me suis préoccupé de ses albums photos, plus de quatre-vingts gros albums, entassés sur une commode et montant jusqu’au plafond. Impossible évidemment de tout garder, mais les choix sont difficiles. Mais, en plus de ses albums, j’en ai retrouvé quelques-uns, beaucoup plus anciens, provenant de mes grands-parents maternels et qui sont pour le coup de précieux témoignages à conserver. Le voyage à travers l’Europe entre la France et la Roumanie dans les années 1920 était une petite aventure, si l’on en juge par la traversée du Danube sur un bac pour le moins sommaire. Mais il faudrait aussi que je prenne le temps de faire un petit livret d’accompagnement de ces photos avec le nom et les liens des personnes que je reconnais, déjà il m’en manque beaucoup, si je ne mets pas quelques légendes, ce seront tous, à la génération suivante, de parfaits anonymes.

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