Revoilà Modiano !
Anne-Marie Krebs
Il y a deux ans, presque jour pour jour, le 8 novembre 2021, j’avais fait pour ce blog un billet sur Chevreuse, le précédent roman de Modiano, je ne veux pas manquer celui qui est paru hier : La Danseuse.
La sortie d’un roman de Modiano c’est, pour moi, toujours une joie. Depuis que je l’ai découvert avec Villa Triste en 1975, tous les deux ans au moins je me précipite sur son nouvel opus. J’aime le personnage de l’écrivain autant que son écriture : son débit incertain butant sur les mots, ses hésitations, ses phrases inachevées, son regard tourmenté qui témoignent d’une enfance douloureuse. On l’avait vu autrefois à Apostrophe chez Bernard Pivot avec Simone Signoret qui terminait ses phrases avec bienveillance, une autre fois avec Jean D’Ormesson qui parlait de lui avec une odieuse condescendance comme d’un gamin ou même d’un demeuré, et Modiano gardait son gentil sourire.
Depuis quelques années, peut-être depuis le Nobel, il ne vient plus dans les émissions, mais il reçoit, toujours avec la même gentillesse, ceux qui veulent l’interviewer. On l’a entendu mardi dernier sur France Inter questionné par Sonia Devillers, répondant « oui » à tout ce qu’elle avançait, puis évoquant sa jeunesse parisienne de « clandestin », où, comme la majorité était à 21 ans, « tout était interdit ». Il parle du Paris d’alors, une ville grise, froide, d’avant le dérèglement climatique, qu’il ne retrouve pas dans le Paris d’aujourd’hui, espèce de « grand duty free d’aéroport ». Il ne reconnait même plus le quartier dans lequel il a toujours vécu… et nous voilà entre autrefois et aujourd’hui, dans la quête de fantômes d’un monde interlope disparu.
Je comprends qu’on puisse s’agacer de ses phrases hésitantes ponctuées de « c’est bizarre… », « c’est compliqué… », « évidemment » … et jamais terminées, personnellement je suis toujours fascinée par leur puissance d’évocation, l’émotion qu’elles suscitent. Cette élocution balbutiante si différente de la perfection de ses écrits. C’est pourtant la même nostalgie qui émane de ses récits construits autour d’une absence, cette poursuite d’un passé qui devient « intemporel » créant cette atmosphère si particulière aux romans de Modiano. Dans La petite Bijou, il écrivait : « j’ai l’impression depuis plus de trente ans d’écrire le même livre », c’est qu’on y retrouve toujours un personnage à la « mémoire brouillée » errant à la recherche de fantômes d’un passé révolu mais qui l’habite toujours.
Hier je suis allée me procurer La Danseuse. J’attends d’avoir deux heures devant moi pour en lire sans m’interrompre les 96 pages. Je l’ai juste feuilleté : « Parfois l’on retrouve dans les rêves la lumière de ce temps-là telle qu’elle était à certains moments précis des heures de la journée. » … « Brusquement le nom du " fantôme" qu’elle avait rencontré à trois reprises lui était revenu en mémoire ». Je n’ai jamais eu beaucoup de goût pour la littérature fantastique, mais j’adore les fantômes de Modiano.
Internet
-
Gallimard | La danseuse