De maisons en maisons…

Jacqueline Desmaretz

Ils l’avaient acheté en urgence au sortir de la guerre cette modeste maison située à l’entrée d’une impasse. Pas vraiment un coup de cœur, mais après les cinq années de captivité de mon père en Allemagne, les maigres revenus de ma mère durant cette période et les deux enfants à charge, le choix était limité. Résignés, ils s’y étaient installés en attendant des jours meilleurs pour acquérir « la villa » rêvée de ma mère. Malgré le peu de confort des premières années, j’y ai vécu une enfance heureuse. Ma chambre joliment équipée de rideaux assortis au couvre-lit, sentant bon l’encaustique me plaisait bien. Au fil des années elle abritait mes rêves, collections fétiches d’objets variés, photos d’acteurs punaisées sur les murs, albums divers, livres et cahiers d’écolière. Lorsque les beaux jours arrivaient, les jeudis et soirs après la classe je retrouvais mes amis dans l’impasse convertie en aire de jeux de ballons, cordes à sauter et diverses marelles. Au bout de l’impasse, un petit chemin nous conduisait dans les espaces ouverts des champs et vergers parcourus à vélo. Nous avions sans le savoir ce privilège de vivre des heures de grande liberté. Avec ironie un voisin nous appelait « la troupe des retours de guerre », appellation que je ne compris que bien plus tard !

Progressivement étaient arrivés une vraie salle de bains, le chauffage central, une grande cuisine moderne faisant la fierté de ma mère, une cour fleurie.

Durant cette période de mon enfance, nous n’avions pas la TV, aussi les soirées d’hiver après le repas, nous les passions à lire autour de la table de la salle à manger. La radio rediffusait fréquemment les pièces du théâtre lillois, je m’en régalais. Je garde de ces moments passés dans cette maison le souvenir heureux d’une chaleureuse connivence familiale. Certes nous étions un peu à l’étroit lorsque la famille débarquait. Il fallait alors déplacer les chaises, ouvrir le canapé pour la nuit, installer des couchages d’appoint, partager ma chambre avec mes cousines entraînant moments de confidences et fous rires !

À l’adolescence, c’est dans ma chambre que j’écoutais « Salut les copains ! » en préparant le bac avec plus ou moins de sérieux… C’est aussi durant cette période que j’écrivais abondamment aux copines éloignées. Longtemps j’ai gardé cette correspondance ainsi que mon premier journal dans une boite à biscuits dissimulée au fond de l’étagère de la penderie de ma chambre. J’y écrivais mes émois amoureux, espérances et déceptions, mes colères aussi !

Progressivement étaient arrivés une vraie salle de bains, le chauffage central, une grande cuisine moderne faisant la fierté de ma mère, une cour fleurie objet de toutes ses attentions et bien évidemment tous les équipements d’art ménagers, audiovisuels et mobiliers modernes de la société de consommation…

Vingt ans plus tard, mes parents se sont installés dans une autre maison plus vaste plus proche du centre de ville. Des lotissements de maisons individuelles ont envahi champs et prairies. La proximité de l’autoroute a favorisé l’implantation d’espaces commerciaux gigantesques. Je n’ai pas eu d’attachement affectif pour cette autre maison, ne la fréquentant qu’épisodiquement lors de visites aux parents.

Ce fut alors pour moi une série de déménagements au fil des affectations professionnelles et bouleversements familiaux. Appartements de banlieues plus ou moins sordides, maisons en périphérie de villes moyennes dans la France du Nord et puis… le grand saut dans le Midi !

Voilà maintenant plus de trente ans que je vis dans la vallée de l’Hérault au cœur des vignes, dans une maison que j’ai voulue ouverte sur un jardin arboré d’essences locales. La maison spacieuse nous permet d’y accueillir les enfants grands et petits ainsi que les nombreux cousins de la branche africaine.

J’ignore quel sera le devenir de cette maison… Je formule le vœu qu’elle devienne un lieu ressource pour ceux qui l’auront fréquentée !