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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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7 avril 2024

Maison de famille, mémoire d’enfant

Anne-Claire Lomellini-Dereclenne

 

Quand on me parle de maison et de souvenirs d’enfance, j’ai toujours la chanson de Nino Ferrer qui me vient en tête, les paroles et les notes qui vont avec. Et aussi la voix chaude et douce de ce chanteur au destin tragique…

Cette maison près de la fontaine recouverte de lierre et de toiles d’araignées, qui sentait la confiture, je ne l’ai jamais vue, mais j’en ai connu au moins deux autres similaires et situées toutes deux dans le même village, en Haute-Corse.

Il y avait d’abord la maison de ma grand-mère paternelle. Elle sentait souvent les frites vers onze heures et demie du matin, au mois d’août, dans les années 80. On y accédait par une terrasse ventée recouverte d’une pergola chargée de vigne sur laquelle on faisait souvent une halte pour admirer la vue magnifique sur le golfe de Calvi et commenter l’état de la mer « Elle bouge aujourd’hui », « C’est une mer d’huile », « Il y a des moutons ». L’air était doux et le temps se figeait vers midi quand les cloches de l’Angelus sonnaient l’heure du repas qu’on prendrait sans doute sur la terrasse dans des assiettes invariablement blanches et immaculées. Pour pénétrer plus avant dans la maison, il fallait franchir, à cette époque, un rideau de lanières en plastique vert destiné à ne pas faire rentrer les mouches, c’est ce que disait ma grand-mère. Combien de temps ai-je pu passer à tresser et détresser comme des cheveux de poupées, ces lanières de plastique étant enfant, assise sur le seuil de la maison marqué par une grande pierre plate rendue glissante par le passage du temps ? L’intérieur était simple et petit, mais il me semblait immense à l’époque ! Un couloir rose interminable, une petite salle d’eau au fond, une toute petite cuisine verte, et une grande salle à manger avec deux fenêtres, dans laquelle trônait un buffet regorgeant de réserves de gâteaux apéritifs, dans lesquelles je piochais honteusement, assez souvent. Quant à la chambre de ma grand-mère, je n’y allais pas ou peu, c’était son domaine. Mais qu’importe alors l’état de cette maison, c’était bien secondaire. Elle était juste une annexe pour dormir à l’abri le soir et regarder la télé l’après-midi pendant les vacances de Pâques. On y avait mangé des bastognes à la cannelle en regardant E.T. avec Marie-Françoise, lors d’un printemps pluvieux, je sais qu’elle s’en souvient. Mais, définitivement, ce qu’il y avait de plus intéressant dans cette maison, c’était ce qu’il y avait autour, sa terrasse à l’entrée et son jardin à l’arrière que ma grand-mère appelait « le champ », par opposition au « jardin », sous la maison, qui était en fait à la fois un verger et un potager et qui regorgeait, lui, de trésors d’oranges, de citrons, de fraises et de tomates, selon la saison. Le champ, lui, vaste fouillis végétal, c’était un accès direct au maquis et à la montagne corse avec ses odeurs chargées d’essences de plantes du maquis.

Il y avait aussi au rez-de-chaussée de cette maison, une très grande cave qui sentait toujours l’huile de moteur. Elle y entreposait en effet divers matériels comme une débroussailleuse, une tronçonneuse, que sais-je encore !

 

Et puis, dans ce même village, aux ruelles étroites et au fier campanile dont la silhouette se découpait sur le ciel bleu azur, se trouvait aussi la maison de mon grand-père maternel, un peu plus bas, au centre du village. Une maison toute en hauteur et peu large, sur quatre étages, qui épousait la pente de la montagne et qui comportait deux appartements occupés par les différentes branches de la famille. Pendant les vacances d’été, mon grand-père maternel qui ne se rendait au village qu’à cette période de l’année, occupait l’appartement du haut, auquel il accédait par des escaliers extérieurs qui s’enroulaient autour de l’axe principal de cette sorte d’immeuble rural. Sur chacune des marches, il avait pris soin de disposer des pots de géraniums rouges qui survivaient comme cela, d’une année sur l’autre et dont il se préoccupait toujours de l’état de santé. Avant d’entrer dans cette maison sans rideau à lanières de plastique, on pouvait accéder aux toilettes qui avaient été rajoutées sur le palier extérieur comme dans beaucoup de maisons anciennes rénovées dans les années 60. Après avoir passé une grande porte d’entrée grise, on débouchait ensuite sur une salle à manger qui se poursuivait par une chambre et une toute petite cuisine dont le chauffe-eau avec sa flamme bleue toujours allumée m’impressionnait la plupart du temps. Il fallait ensuite gravir une échelle de meunier en se positionnant de côté, tant les marches étaient très étroites, pour accéder au grenier aménagé en chambre et qui donnait sur une vaste une terrasse carrée où le soleil était roi. Elle avait été conçue pour sécher les figues sans doute, cette terrasse, mais nous l’utilisions pour jouer au ping-pong en plein cagnard. Que de rigolades quand au détour d’un échange, la minuscule balle orange nous échappait par mégarde et passait par-dessus la terrasse pour redescendre en un éclair les quatre étages et continuer sa course par les ruelles jusque sur la place du village ! Nous descendions alors à la hâte tous ces étages, en tongs, hurlant de rire au passage devant le grand-père amusé, et tout le village profitait du spectacle et de la partie endiablée ! Tendres souvenirs de ma mémoire que ces épisodes baignés de lumière et de chaleur dans l’innocence et la légèreté de mon enfance !

 

Malheureusement le temps change les maisons et les gens. L’odeur n’est plus la même, ni l’ambiance, ni l’époque. D’autres personnes occupent désormais ces lieux qui me sont chers. Puissent-elles y trouver autant de sérénité et de félicité que celles qui y régnaient en ces temps bénis de ma jeunesse !

Les années sont passées, je n’y suis plus retournée, d’autres lieux se sont greffés dans ma mémoire. Mais de temps à autre, au détour d’une nuit sans sommeil, ou même parfois en rêve, quand le corps se relâche et que la tension s’affaisse, tout redevient comme avant. Légère, insouciante et portée par la brise, je passe d’une maison à l’autre, de bas en haut et de haut en bas de ce village, je marche, je vole par-delà ces ruelles qui me reconnaissent.

 

Je suis enfant, je suis Mamo, je suis Pépé, je suis la Corse tout entière et son soleil aveuglant.

 

Il est midi, c’est le mois d’août, on est en 1987.

 

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