Bertrand TAVERNIER : in memoriam
J-Y. Despres
J’étais au jardin et découvrais avec bonheur que tel arbuste, fort éprouvé par le gel, se couvrait de minuscules pousses attestant que la vie avait finalement gagné la partie, quand mon épouse m’apprend la mort de Bertrand Tavernier, connaissant l’importance que ce grand homme avait eue dans ma vie de professeur et de cinéphile. Est-ce à dire que la vie cette fois avait perdu ? Rien n’est moins sûr !
Ne sachant rien de l’homme privé, je ne méconnais pas bien sûr ce que cette mort signifie pour ses proches, mais je puis dire, en toute modestie, que B. Tavernier continuera assurément à m’accompagner comme il le fait depuis si longtemps.
Il est rare que se passe un jour sans que je consulte l’irremplaçable « encyclopédie » du cinéma américain qu’il écrivit depuis 1970 avec J-P. Coursodon, 50 ans de cinéma américain. Ce livre fait mon admiration : au fil des rééditions, un petit carré signale des ajouts qui sont autant de repentirs, de nuances, de réévaluations de ce qui figurait dans l’édition précédente. Ce work in progress dit la richesse de la réflexion, animée d’une extraordinaire honnêteté, mais aussi la liberté d’esprit de ceux qui ne s’enferment pas dans des certitudes définitives, fussent-elles les leurs ! Cette belle rigueur intellectuelle m’a beaucoup appris et m’a souvent servi d’exemple dans mon métier de professeur. Son œuvre cinématographique est aussi servie par les mêmes qualités : B. Tavernier fut un homme aux fortes convictions, son regard sur le monde n’était jamais neutre, mais aucun de ses films n’est alourdi par les pesanteurs et le prêchi-prêcha du militant. Comme on est loin de l’esprit obtus et du ressentiment maladif des professionnels de la « révolte » d’aujourd’hui !
Bien sûr B. Tavernier fut un cinéaste de premier plan et son talent aux formes multiples lui permit, lui qui était l’une des incarnations du génie du cinéma français depuis presque 50 ans, de faire en 2009 un authentique film américain, Dans la Brume électrique, adaptation du roman de James Lee Burke et d’être encore plus proche de ses chers « amis américains ». C’est que ce cinéaste n’a jamais cessé d’être un cinéphile à l’érudition prodigieuse. Pour lui, faire du cinéma c’était aussi jouer le rôle d’un « passeur » comme le prouve son DVDblog, chronique consacrée aux DVD, ou encore sa participation à de très nombreux bonus de DVD. Il s’est illustré dans l’art de l’éloge, tempéré par la finesse du critique, en particulier pour nous faire découvrir et aimer tant de films noirs et de westerns (entre autres la collection éditée par Sidonis Calysta). C’est ainsi que j’ai passé des heures avec B. Tavernier, emporté par sa fougue, son lyrisme, sa justesse et son humour.
Enfin, qualité devenue rare en 2021, B. Tavernier parlait un français irréprochable (prof je fus, prof je demeure…), riche et précis, élégant et coloré. Mais j’arrête ici ce billet, car plutôt que d’évoquer Dans la Brume électrique, je me précipite sur le DVD pour revoir le film une énième fois !
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