Le pull vert

Nadine P.

Ma tante est décédée l’an passé en pleine pandémie, au cœur du confinement de mars 2020 à 83 ans. Une toute petite bonne femme, c’était elle. Une « tata » bienveillante, demandant toujours des nouvelles de mes enfants, de leur vie qui va quand on se retrouvait même si elle ne les voyait jamais.

 Ma peine a été immense, double-peine devrais-je dire, car nous n’avons pas pu organiser la cérémonie d’adieu avant août et la blessure s’est ravivée. Je ne savais pas que de la perdre me marquerait autant. Depuis, je crois la voir souvent. Dans cette frêle silhouette trottinant pour prendre le bus, dans cette petite dame qui se penche pour choisir ses légumes sur le marché. Je m’attends parfois à ce que son sourire permanent et bienveillant me remplisse à nouveau de cette belle promesse de se revoir.

Mon oncle de 90 ans a perdu sa complice depuis plus de 60 ans. Il m’a demandé d’écrire un texte pour la cérémonie tout en guidant, rognant et listant ce qui devrait être dit, ce qui ne devait pas être mentionné ou pas forcément. Sans l’habitude de cette approche pour composer un texte sous la dictée, je fus un peu désarçonnée au départ. Puis je suis entrée dans cette vie de femme que j’ignorais par certains côtés. Mon oncle se sentant en confiance a baissé sa garde, voyant que je le suivrais il m’a suivie et le lien s’est fait autour d’une table avec mon cousin et ma cousine, tous heureux de pouvoir parler d’elle encore un peu. Le texte a été écrit à plusieurs mains et je l’ai lu à voix haute le moment venu.

Le dernier jour d’écriture, mon oncle s’est éclipsé dans leur chambre, car c’est toujours la leur, et est revenu avec une pile de pulls me demandant d’en choisir quelques-uns. Ma cousine avait tenu à me prévenir avant, heureusement. J’ai rougi, bafouillé, mais voulant refuser je me suis souvenue qu’aux dires de sa fille il y tenait beaucoup. J’ai fébrilement choisi trois pulls douillets rapidement.

Il a souri, content il est allé ouvrir aussitôt une bouteille de Champagne sans rien ajouter, comme si tout à coup nous scellions un accord entre nous, que nous pouvions refermer une porte, celle de l’armoire et de la mémoire.

Le soir même, je réservai à mes trésors un endroit rien que pour eux au milieu de mes vêtements. Bien alignés, le temps passant, je les regardais souvent, mais je n’osais les porter. Puis, je l’ai fait…

Il y a quelques jours j’ai passé ma main sur le pull vert en cachemire au-dessus de la pile. Le temps l’a transformé en véritable « doudou ». Je l’ai pris et n’ai pu résister à sa douceur et à le poser dans mon cou. C’est là que je l’ai vu, un trou, un trou bien caché. Ce petit accroc de rien du tout m’a émue, signe que la vie continue.

Nos anciens qui partent et nous qui marchons dans leurs pas, eux qui nous offrent un bout de leur chemin et qui nous quittent pour nous laisser faire le nôtre. J’ai souri et j’ai enfilé mon pull vert, heureuse que le temps s’y prête cette semaine-là.

Comments

[fanfan]

Merci pour ce texte sensible et doux qui nous rejoint dans tous nos deuils...