Rendez-vous

2 septembre 2021

Marie-Françoise Despres-Lemarchand

2 septembre. Ciel éclatant et vent frisquet. Ça vous a un petit air de rentrée éternelle. Un parfum de livres neufs, protège-cahiers étincelants, cartable brun et vêtements impeccables ! Tous les ans, et de plus en plus peut-être au fil du temps (même si pas trop décalée tout de même pour ne pas m’aviser que les rentrées du XXI^efleurent sans doute plus la tablette dernier modèle et le sac à dos fluo !…) J’exulte en tournant la molette du calendrier rouillé qui affiche sobrement sur son socle brinquebalant : « septembre » ! Saison des fruits, des promesses, des premières noisettes (que le vent a commencé d’éparpiller cette nuit), des mûres dans les haies (un brin acides, certes), des premières pommes, vertes encore, à peine striées çà et là, et laissant dans la bouche un jus un peu âcre qui me fait néanmoins jubiler : « Ouah ! les premières pommes ! » Pas Laforgue, mais pas loin (« c’est la saison c’est la saison… »…) Avec l’étonnement, toujours que peu en fait semblent partager ma jubilation…

Cette année, on a de ces faiblesses !, je fais fort dans la nostalgie ! Le livre de grammaire sauvé du dernier déménagement s’ouvre, 60 ans après, sur des images d’un monde qu’on croyait immuable, sur des textes d’une scansion convenue et rassurante… Ah ! l’édifiante détermination du Petit Chose à l’orée des rentrées !... (on ne nous lisait pas la chute assez désespérante et le retour dans le monde le plus plat après les rêves de poésie !...), ah ! l’enivrante saveur brumes, sous-bois, champignons (on dirait une déclinaison de galettes ?!) qui émanait des extraits de Raboliot (dont la rencontre « en vrai » m’aurait sans doute terrifiée…) Bref, ça nourrissait fort l’imaginaire, ça donnait rendez-vous chaque année, ça empilait images et mots pour toute une vie sans doute… Je ne sais pourquoi, je me souviens plus précisément de ce midi de rentrée chez ma grand-mère dont le petit appartement donnait sur un vaste jardin. Le ciel devait être clair comme celui d’aujourd’hui, j’ai posé le cartable sur le parquet impeccablement ciré (dans la famille « obsessionnels », je demande la grand-mère !), la lumière bondissant sur les vitres colorées de la porte d’entrée – vert, rouge, bleu – a serti ce jour en vitrail.

J’ai envoyé en clin d’œil pas dupe une photo du livre aux petits-neveux nîmois « digital natives » passionnés d’histoires de dinosaures ! Sur l’herbe jonchée de débris de graines de tournesol, un pinson juvénile sautillait ce matin en cherchant sa pitance ; il m’a semblé bien peu armé pour la dure lutte de la vie – petite tête frémissante, plumage ébouriffé, et nul envol à mon approche… J’ai résisté à l’envie de le prendre dans ma main, d’esquisser une caresse ou de le poser sur une branche. Il ne demandait rien, se contentant de picorer çà et là, d’explorer son coin d’herbe et de lever par instants la tête vers un ciel encore inaccessible… Apprentissage. J’ai demandé aux dieux du jardin…

Internet