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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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11 octobre 2021

Un dimanche soir, un vrai

Nadine P.

 Ce dimanche est une belle excuse au port de vêtements confortables, traduction sans forme ni esthétique, à l’écriture, la lecture, à visionner un film.

Il sera temps demain de revoir les urgences de la semaine passée et de les remettre dans la liste des choses à régler au plus tôt, voire de les affronter au plus vite.

Dans la cuisine, la table est à nu, c’est rare. Le bois montre les nombreuses marques du temps laissées par mon grand-oncle et ses parents avant lui. Table de cuisine, sobre, plus courte sur pattes que la norme actuelle et bancale (un bouchon en liège y apporte depuis des années une belle stabilité). Elle est devenue la mienne, je suis heureuse que ce soit le cas.

Issue d’une petite famille, mes anciens ont eu une place centrale dans mon enfance, et importante quand mon père est mort à 46 ans, avant eux tous.

45 ans déjà qu’il est parti, pas pour l’au-delà auquel je ne crois pas, mais pour seule adresse, celle du cimetière où est couchée toute ma famille sur quatre générations. Mort un 29 octobre comme Brassens. Prochainement, Sète fêtera les 100 ans que Georges n’aura jamais. Mon père dans l’absence s’en approche curieusement.

J’appelle le passé ce soir pour me tenir chaud, pour me dorloter, un peu. Dans cette émotion tendre, une envie de gourmandise rode, besoin de réconfort immédiat.

Dans les placards, rien d’inspirant. Quand j’aperçois la boîte de camembert dans le bas du réfrigérateur, que je l’ouvre, le sens « à point », mi-tendre, mi-résistant sous la pression du doigt, odorant comme il faut, ni trop ni trop peu, je sais. Plus de doute : je vais me faire un café au lait avec des tartines de camembert trempées dedans.

Ne visualisez pas si l’idée même vous indispose…

Cette habitude remonte à loin. Déjà adolescente je me régalais de la sorte parfois puis, quand mes enfants étaient encore à la maison et que je leur disais « On se fait un petit déjeuner ce soir ? », j’étais certaine d’emporter une réponse enjouée. Le café était pour eux remplacé par un chocolat onctueux que je battais longuement au fouet. Loin de partager notre enthousiasme, leur papa se cuisinait un plat à part.

Je choisis la nappe en tissu à déposer sur la table.

Je repense alors à V., mon grand-père paternel. Jamais je ne l’ai vu déjeuner le matin sans son énorme bol cranté et sa grosse cuillère. Je l’adorais et certaines habitudes me viennent directement et consciemment de lui. J’installe donc mon gros bol nervuré rouge, puis la grosse cuillère le long ; pas une moyenne à la pâle figure, non, une cuillère qui pèse dans la main, présente quoi ! J’ajoute un couteau à beurre, ma petite collection me permettant de choisir celui qui me convient. Clin d’œil supplémentaire, la serviette à carreaux. Ah mince ! Pas de lait de la ferme bien sûr, mais pas de lait de vache non plus dans mes réserves. Je me rabats sur le lait d’amande, « pépère » n’en saura rien et mon médecin sera rassuré lui qui dirait « Le mélange café et lait… » Pas la même saveur, mais je m’en contenterai, c’est pour une urgence.

Je tranche sur une grande longueur la baguette de campagne en deux. J’y dépose une belle couche de camembert. À ce moment-là, le mimétisme familial fait entrer en scène R., mon grand-père maternel. « Ben, il ne va pas se mouiller. » Aurait-il dit en voyant l’épaisseur de fromage couvrant les tranches de pain.
Les mots « délice – délicieux » me viennent à l’esprit, mais ils ne sont pas assez approchant. C’est un mélange de goût dans la bouche et de goût de l’âme, un souvenir qui fond dans le présent et m’ancre dans le doux et le caressant.

Grand-père R., s’est éclipsé, moins adepte des marques d’affection, V. lui est resté au bout de la table, place que j’occupe pourtant et il sourit comme il l’a tant fait auprès de ses petits-enfants, ses « ragazzi* ». Je soupire d’aise, c’est un dimanche soir, un vrai.

* « enfants »

20211011gds-vie-npic_un_dimanche_soir_un_vrai

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Commentaires
M
Merci pour cette douce "tranche" de vie (sans jeu de mots !) Les rites parfois un brin régressifs du dimanche soir sont précieux au corps et à l'âme. A l'heure de vos tartines café-camembert, j'en étais... aux oursons à la guimauve !!! Nous voilà donc parées pour la semaine !
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