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Grains de sel
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2 décembre 2021

Aux grands hommes

Catherine Bierling

 Ce lundi, j’ai assisté par Zoom à une conférence organisée par le Frankreich Zentrum de l’université de Freiburg, mes anciens employeurs. Éliane Viennot, spécialiste de l’histoire des femmes et du langage inclusif, avait intitulé son intervention, de manière sans doute un peu provocatrice et humoristique : « en finir avec l’homme » qui est aussi le titre d’un ouvrage publié en septembre 2021. Un titre plus ancien est : « non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin. »

L’intérêt de cette présentation était son aspect historique, remettant en perspective les débats enfiévrés à propos de l’utilisation (ou non) de l’écriture et du langage inclusifs.

Son exposé était divisé en quatre parties :

  • Une langue équipée pour l’égalité

  • Une langue victime d’interventions masculinistes

  • Une langue qui retrouve peu à peu ses capacités d’expression égalitaire

  • Une langue qui ne court aucun péril

Dans cette perspective, elle divise l’histoire du français en quatre périodes, en rapport avec les évolutions de la société. Aux 13e et 14siècles se développe une période de masculinisation, lors de la création par des hommes des universités. La Renaissance connait un renouveau de la féminisation de la langue, tandis que du 17e jusqu’au milieu du 20siècle s’étend une longue période de masculinisation. À partir des années 60/70, on assiste à une tentative de reféminisation.

À l’aide de textes tirés d’époques différentes, elle nous montre la variation des usages. Jusqu’en 1639, on emploie encore couramment les mots : écrivaine, autrice, poétesse, médecine et philosophesse. Cependant, au vu de l’augmentation du nombre d’autrices très prolifiques (Scudéry, Aulnoy, La Fayette, Villedieu, Deshoulières…) des grammairiens s’offusquent de cet emploi des mots féminins avec des justifications pour le moins contestables.

Scipion Dupleix, 1651 : « … parce que le genre masculin est le plus noble. »

Nicolas Beauzée, 1767 : « … à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. »

Lorsque les femmes arrivent sur le terrain public, on proclame que les noms des fonctions ou métiers de qualité ne peuvent exister qu’au masculin. (En revanche, « boulangère » n’est pas supprimée.)

Plus tard, Bescherelle, 1847, insiste : « On ne dit pas professeuse, graveuse, compositrice, traductrice, car ces mots n’ont été inventés que pour les hommes. » Voilà qui a le mérite d’être clair.

Par ailleurs, les désignations des hautes charges de l’administration ou de la politique restent jusqu’à une date très récente masculines. Madame l’ambassadeur, Madame le Ministre, Madame le député, Madame le recteur d’académie…

Elle mentionne aussi toute une série de modifications grammaticales, entre autres au niveau des pronoms et ces exemples font parfois sourire. Avant le 17siècle, on pouvait dire : « Je suis veuf et je le resterai. » Mais « Je suis veuve et je la resterai. »

En 1951 et au-delà, on apprend toujours aux enfants que « le masculin l’emporte sur le féminin, » même s’il s’agit d’un animal : « Le chien et les filles ont été retrouvés sains et saufs. »

La suite de son exposé est consacrée à l’utilisation du mot « homme ». Elle rappelle qu’en latin « homo » signifiait « être humain », tandis qu’on a disposition « vir », être masculin et « mulier », être féminin. Il est donc possible de dire « Mulier est homo », en revanche, on ne peut pas dire « la femme est un homme. »

De manière similaire, des glissements sémantiques se produisent dans les traductions de la Bible. « Et creavit Deus hominem » était au départ traduit par « et Dieu créa l’humain » pour devenir rapidement : « Et Dieu créa l’homme. »

On pensera ensuite à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, au musée de l’homme et bien sûr, à « aux grands hommes, la patrie reconnaissante. » Même si nous avons à présent une sixième femme entrée au Panthéon !

Depuis quelque temps, des écrivaines, des femmes politiques, des linguistes tentent à nouveau de nommer les métiers de femmes au féminin, si bien que l’Académie française a fini par lâcher du lest en février 2019, et à accepter certains nouveaux usages.

Si tout cela peut paraître anecdotique, Éliane Viennot souligne cependant que « si on écrit au masculin, on pense au masculin. »

Elle en vient au langage inclusif ou écriture inclusive, faisant remarquer que depuis longtemps nous en avons un exemple sur nos cartes d’identité : né(e) le..

Elle pense que ce langage se cherche encore et si de nombreuses propositions surgissent, on ignore encore lesquelles resteront dans le langage courant. La Belgique a adopté l’expression : ligue des droits humains ». Le pronom « iels » a fait une entrée fracassante et contestée dans le langage courant. « Celleux » ou « Toustes » auront sans doute plus de mal à s’acclimater.

Somme toute, même si notre ministre de l’éducation proscrit le recours à l’écriture inclusive, elle pense que le langage est en évolution constante et qu’il ne cherche qu’à refléter une évolution sociale qui laissera sans doute une trace dans nos habitudes langagières. Elle n’a pas une position guerrière ou militante vis-à-vis de ce problème et pense que chacun peut et doit trouver la solution qui lui convient.

Soirée instructive, récréative et non dénuée d’humour. Une dame âgée allemande qui a été mon élève dans un cours de français prend la parole : « moi, j’ai dit “Madame le Docteur toute ma vie, et franchement, Doctoresse, je ne trouve pas ça beau !” » Ce à quoi, Madame Viennot répond que : « la langue est à nous, nous en faisons ce que nous voulons », et on verra bien au bout du compte ce qui finira (ou non) par s’imposer.

Quand l’Allemagne a fait une timide réforme de l’orthographe, il y a une dizaine d’années, je me sentais un peu frustrée parce que je m’étais donné tant de mal pour apprendre les règles anciennes et je n’avais plus envie à mon âge d’en apprendre de nouvelles. Je ressens un peu la même chose que mon ex-élève vis-à-vis des mots écrits avec le point médian : né.e, essentiel.les, familier.e. Cela ne me dérange pas de les lire, mais je ne crois pas que je les mettrai moi-même en pratique.

Cependant, c’était fort intéressant de se rappeler cette perspective historique et de se souvenir qu’autrices, poétesses et écrivaines existaient déjà avant le 13ème siècle !

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