Lettre à une amie
Anne-Claire Lomellini-Dereclenne
Il y a quelques jours maintenant que tu es partie.
Les couloirs semblent vidés de ton sourire et de tes éclats de rire. La pause-café n’est plus la même. Mon arrivée le matin, nos petites discussions de rien, sur la pluie, le beau temps, la philosophie de la vie. Tout cela n’est plus. Tout cela fut bref, c’est vrai. Nous ne nous sommes connues que peu de temps et croisées, finalement que quelques fois. Je me souviens bien de ton arrivée, un jour d’octobre ensoleillé. Tu étais souriante, nous avons tout de suite sympathisé. Tu m’as rapidement appelé « petite sœur », moi qui croyais être ton aînée. Il faut dire que ta peau est douce et lisse et que ton sourire et tes yeux rieurs ont quelque chose de mutin et d’enfantin. Avec toi, j’étais portée à la confidence, avec toi, j’étais portée au compliment. Comme si ta personnalité les provoquait, comme si, j’étais désarmée et que je ne pouvais qu’approuver. Tu parlais de ton pays, de tes ancêtres, de ta mère, loin, quelque part en Afrique. Pour un repas festif, tu nous avais concocté des spécialités, tu nous avais gâtés, on s’était régalés. Sans le savoir, tu me faisais rêver et voyager, m’évader le temps d’un café. J’ai aimé ton enthousiasme et j’ai vite vu aussi ta tristesse et ton désarroi, quand tu as rencontré des problèmes au travail. Sache mon amie, que j’aurais voulu t’aider, plaider ta cause, arrêter la machine destructrice ! On t’a dit ou on t’a fait comprendre que tu n’écrivais peut-être pas assez bien comme ils l’entendaient pour pouvoir te garder. Ils ne t’ont pas donné ta chance, ils ne savaient pas ou ne voulaient pas savoir tout ce que tu as traversé. Je ne le sais pas moi non plus, car nous n’en avons que peu discuté. Nous avons à peine effleuré le sujet. Et pourtant, j’ai compris combien tu étais forte. Toi qui as quitté ton pays, toi dont la langue maternelle n’est pas le français, mais cette langue tu l’as apprivoisée et maintenant tu l’enjolives avec ton accent chantant. Toi qui es bilingue portugais, tu pourrais leur en donner des cours et leur faire découvrir un monde qu’ils ne savent pas, qu’ils ne connaissent pas. Toi, n’en doutes pas, tu es pleine de richesses et c’est tant pis si la machine destructrice n’a pas voulu les voir. Tant pis pour elle.
Mon amie, tu es forte. Tu as pleuré la dernière fois que nous nous sommes vues, quand nous nous sommes dit au revoir, mais je sais bien que tu as voulu cacher ces larmes, que tu trouvais indignes et que moi, je trouvais tristes. Alors nous avons pris un dernier repas comme si de rien n’était. Tu as dit « la vie continue » et tu avais raison. Ils ne te déstabiliseront pas, tu gardes la tête haute et le poing fermé. Mon amie, tu as raison, gardes cette force et cette certitude, gardes cette joie et ce sourire. Leur cœur est sec comme un noyau d’abricot, le mien a été regonflé par tes mots, moi la plante en pot à demi fanée, tu as relevé ma tige et de cette gaieté est née une fleur.
Laisse-les donc dans leur vérité de glace et leur pyramide de valeurs, dans leur certitude et leur positionnement, dans leurs chiffres et leur organigramme. Leur machine avance sans insouciance, sa mâchoire destructrice broie sans pitié quiconque la défie.
Mais « la vie continue » pour te paraphraser, et nous nous réchaufferons encore, je l’espère, à coup de café et de sourires.