Chroniq’hebdo | De l’âge, des agriculteurs
Pierre Kobel
Je me souviens l’avoir déjà écrit, il y a des semaines où les mots ne viennent pas, où le stylo reste sur la table et la page reste blanche. Et puis je reçois le nouveau numéro de la Faute à Rousseau auquel j’ai eu le plaisir de collaborer, je mesure une fois de plus la chance que j’ai de militer dans cette association, combien le travail que nous effectuons, les chantiers que nous menons sont riches et donnent un sens à l’existence.
Un matin, je me suis réveillé avec un an de plus comme tous les mois de février. Je voudrais que cela se passe sans accrocs, juste une glissade d’un an à l’autre. Et cependant, malgré les messages amicaux, malgré les cadeaux, je ne peux que constater la part de mélancolie qui va avec cette avancée en âge.
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Durant cette nouvelle semaine, nous serons à la campagne pour quelques jours mérités de repos. Occasion de lire, de se promener, de ne rien faire à d’autres moments. Ce séjour me fait penser aux récentes manifestations des agriculteurs et aux inquiétudes, aux revendications persistantes alors que se tient le traditionnel Salon de l’Agriculture. La France n’est plus un pays de paysans. Je lis des chiffres parlants dans un article du Monde. Lorsque j’ai commencé à souvent aller à la campagne au début des années 60, alors que mes grands-parents venaient d’acquérir une petite résidence secondaire dans l’Yonne, la part des agriculteurs dans la population « en emploi » était de 17 % (elle était de 53 % en 1861). Lorsque mes parents achetèrent à leur tour une propriété dans la même région quinze ans plus tard, elle était à peine autour de 10 %. Aujourd’hui, elle atteint à peine les 1,5 %. Là où les villages étaient traversés par des troupeaux de vaches matin et soir, il n’en existe plus un seul. Les portails sont fermés, les rues désertes et la multiplication des résidences secondaires, les quelques installations définitives de citadins retraités ne suffisent pas à redonner de la vie à ces territoires abandonnés. À mesurer l’âge avancé de nombre d’agriculteurs et les départs annoncés à la retraite qui ne seront pas compensés par des reprises par les générations plus jeunes, le phénomène ne pourra que s’accentuer. Je ne parviens pas à avoir un avis définitif, je ne suis pas assez renseigné, je n’ai que mon point de vue à distance, mes souvenirs et le triste constat de voir un monde se déliter, perdre de son humanité parce que les banques et les investisseurs ont pris l’ascendant sur les paysans pour leur seul profit. Ils leur ont laissé miroiter des profits illusoires, ils les ont poussés à s’endetter et perdre ce qui était leur cœur de métier. Regardez le film d’Édouard Bergeon, Au nom de la terre, qui dit cela bien mieux que moi.
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Ailleurs l’actualité c’est la guerre en Ukraine qui a commencé il y a deux ans. Le fait qu’elle dure encore est honteux. Russes et Ukrainiens se font face dans des postures qui rappellent le front figé de la Première Guerre mondiale. Pendant ce temps Américains et Européens tergiversent pour aider plus les agressés tandis que le monstre du Kremlin continue de diffuser son discours mortifère. Et toujours ce sentiment d’impuissance qui me laisse entre colère et abattement.
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Allociné | Au nom de la terre