Il y avait une caravelle… Et je rêvais de bibliothèques

Anne-Claire Lomellini-Dereclenne

L’autre jour, en nous rendant à la plage avec mes deux filles, nous avons aperçu une caravelle au loin, sur la mer. Ce n’est pas la première fois. Depuis que les bateaux de croisière ont repris leur activité, au-delà des paquebots, dont je n’aborderai pas le sujet afin de ne pas polluer ma page avec les sombres réflexions qu’ils m’inspirent, on voit de temps en temps de très beaux voiliers, dont le fameux cinq mâts du célèbre club de vacances qui vogue un peu sur toutes les mers à touristes… Ce n’était pas celui-là, ce jour-là, ni le fameux trois-mâts fin comme un oiseau de la chanson. Mais, lui, je l’aime bien…

        Non, ce jour-là, au loin, « ma » caravelle avait vraiment l’air d’un bateau de pirates. Le ciel était jaune, le soleil déclinait déjà beaucoup et son ombre chinoise se découpait sur l’horizon, comme une illustration d’un livre pour enfants.

Arrivées sur la plage de sable noir, on le voyait encore, au loin, et nous l’avons observé, assises, en silence jusqu’à ce qu’il disparaisse derrière l’horizon. Nous en avions presque oublié le bain, patientant sagement, sans nous dévêtir, absorbées par notre observation. C’était presque un mirage, on avait l’impression que plus on le fixait, plus son image tremblait, au fur et à mesure qu’il s’éloignait…

Était-il réel ?

Quelles images s’imposaient à nous ? Dans quel référentiel puisions-nous toutes ?

Nul doute que nous avons toutes pensé à Jack Sparrow et au capitaine Crochet, entendant presque les musiques de ces films connus dans nos têtes.

Moi, de mon côté, j’ai pensé, aussi, aux illustrations colorées des contes pour enfants, au bateau de pirates en bois que nous avions acheté pour notre fils, Antoine, pour un Noël et aux yeux écarquillés et pleins de gratitude qu’il avait en découvrant le cadeau.

J’ai aussi pensé aux médiathèques pour les enfants, et notamment à la belle médiathèque de Mâcon où j’emmenais mes deux aînés quand ils étaient plus jeunes. Nous empruntions des livres pour la semaine, ou bien nous écoutions des contes lus. J’adorais passer ces moments avec eux, le mercredi après-midi, après les cours de solfège. Ils s’en souviennent encore. Moi-même, enfant, j’aimais tellement passer du temps à la bibliothèque de la Part-Dieu à Lyon. L’espace aménagé pour la « jeunesse » (je me souviens de cette inscription en grandes lettres bleues sur le mur) était superbe, avec des poufs de couleur et une lumière douce et diffuse qui filtrait par les stores vénitiens de ce bâtiment moderne. Et surtout, les étagères regorgeaient de beaux livres avec plein de dessins et illustrations de qualité. C’était toujours une joie de se retrouver dans ce décor, d’avoir du temps devant soi, de s’installer tranquillement avec quatre ou cinq grands livres, qu’on allongeait sur les jambes et qui étaient pleins de couleurs. Il ne fallait pas faire de bruit, il fallait savourer le moment en silence. Je me rappelle qu’à l’époque, les autres étages plein de livres sans images, plein de gens sérieux, assis sur des chaises peu confortables, travaillant sur des tables, carrées et en matériau dur, ne me faisaient guère envie. J’appréciais la mollesse et la nonchalance du rayon enfant, l’invitation au voyage et au rêve éveillé qui s’en dégageait.

Et pourtant, les bibliothèques sont toujours des lieux que j’aime fréquenter, pour y emprunter des livres, mais aussi pour errer dans les rayons, m’attarder sur des bouquins spécialisés que je n’aurais jamais eu l’idée de m’acheter. Emprunter, aussi, des livres pour enfants en traînant dans ces rayons où tout semble plus facile, plus accessible, plus ludique.

Sur ces réflexions, je me suis dit, vu que là où je vis actuellement, la bibliothèque n’a pas réouvert après la crise de la COVID 19, qu’il serait dommage que ces lieux si importants pour tellement de gens périclitent pour de bon.

Cela m’a rappelé un projet né, il y a bien longtemps, dans ma tête et j’y arriverai peut-être, ou pas, on verr

Un jour, au moins en rêve, en tous cas, j’aurai ma petite librairie-café dans un village tranquille ; on prendra le temps d’y lire, lové sur des poufs ou des canapés, on se retrouvera, de temps en temps, à plusieurs, pour discuter de livres sérieux ou pas, ou bien pour lire, à haute voix, des contes lors de soirées spéciales organisées pour les enfants… pour qu’ils n’oublient pas les livres.

La caravelle des pirates reprendra alors vie, ressurgissant du passé, et peut-être que cette fois, entre adultes, pour changer, on trinquera au rhum !

14/02/2023