Chroniq’hebdo | Des livres, de Badinter et d’un homme d’argile
Pierre Kobel
Face au quotidien, il y a les livres. Même quand je ne peux pas en acheter, j’ai de quoi attendre tellement j’en ai accumulés depuis des mois. Je pense à de passages de celui de Delphine Minoui sur l’histoire de la bibliothèque de Daraya. Elle cite le capitaine Beatty dans Farenheit 451 :
« Un livre est un fusil chargé dans la maison d’à côté. Brûlons-le. Déchargeons l’arme. Battons en brèche l’esprit humain. Qui sait qui pourrait être la cible de l’homme cultivé ? »
Et elle ajoute :
« Les livres, ces armes d’instruction massive qui font trembler les tyrans. »
Ailleurs :
« Les livres, ces sédiments de la mémoire qui défient les carcans. Du temps. De l’asservissement. De l’ignorance. »
Et encore :
« J’aime citer cette récente étude la Banque mondiale qui signale que les personnes qui lisent des livres vivent plus longtemps et sont plus heureux. Les lives détiendraient-ils, sinon la clef du bonheur, du moins le pouvoir d’y faire croire ? »
J’adhère à ces propos et cependant je ne peux m’empêcher de penser à ces intellectuels, à ces écrivains qui, dans le passé, se sont rangés du côté des tyrans, qui ont préféré le confort – illusoire ! – d’un ordre établi à la liberté de pensée et au pouvoir inventif d’un désordre curieux, provocateur et joyeux.
*
« Bob est mort ». C’est ce que j’ai écrit à ma compagne en apprenant la nouvelle. Avec son amie A. elle ont chacune leur Bob. Pour cette dernière, c’est Redford, pour la première, c’est Badinter. Grande émotion publique et personnelle aussi tant j’ai appris à le considérer et à le respecter à travers la passion qu’elle lui porte.
Il mêlait de très fortes convictions, une autorité morale, une élégance pour tout ce qui était de l’homme publique à une humilité dans le travail et à un humour libérateur. Un hommage national lui sera rendu, on parle aussi de sa panthéonisation, mais ce que je voudrais, c’est que sa hauteur de pensée reste une leçon pour tous ceux qui nous gouvernent et aspirent à le faire. Il est érigé après sa mort en icône de la république. Je ne peux que mesurer une fois de plus la versatilité de l’opinion publique, la même qui lui jetait l’opprobre pour son combat contre la peine de mort et qui aujourd’hui regrette la mort de celui en qui elle veut voir un sage. Sage l’était-il quand il a eu le courage de s’engager dans ce combat, mais aussi pour d’autres causes qui venaient bousculer une majorité bien pensante et conservatrice à souhait, avide de se rassurer quand l’honneur c’est de ne pas s’en tenir à soi et à des certitudes aveugles, mais d’accepter des questionnements et des remises en cause ?
Badinter, sous ses dehors de grand bourgeois cultivé, n’a cessé d’être de ceux qui ont œuvré à une société plus juste, plus respectueuse de tous, plus attentive à chacun. J’espère que toutes les louanges qui lui sont faites à l’heure de sa disparition ne seront pas une façon déguisée d’enterrer rapidement les valeurs qu’il a défendues.
*
L’homme d’argile est un homme fragile. L’homme d’argile c’est le titre du film d’Anaïs Tellenne que je suis allé voir hier. Un premier opus et une vraie réussite. Un sujet fort, une ambiance à la limite du fantastique parfois et des interprètes majuscules, en premier lieu Emmanuelle Devos et Raphaël Théry dans les rôles des principaux protagonistes. C’est un conte, celui de la rencontre entre un homme, sorte de Golem rural, se partageant entre une vie de vieux garçon sous l’égide de sa vieille mère, ses amours coquins avec la truculente postière et sa passion pour la cornemuse dont il joue, et Garance, la châtelaine, artiste contemporaine qui débarque par une nuit pluvieuse dans la vie de l’homme.
Rien ne sera plus comme avant quand elle pose son regard sur lui et entreprend d’en faire son modèle. « Vous êtes beau comme un paysage » lui dit-elle, bouleversant par là l’image qu’il a de lui-même.
Film sensuel, c’est une œuvre qui conduit au profond de nous-mêmes, entre fantasmes et désir, entre rêve et réalité, entre modernité et intemporel. Premier film dont j’espère qu’il annonce d’autres opus à la hauteur de ce que promet celui-là.
Internet
-
Wikipedia | Robert Badinter
-
Allociné | L'homme d'argile