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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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15 mars 2022

Le passé

Claire C.

 Le soir du 24 février, j’ai assisté à une conférence, dans un amphithéâtre perdu au milieu de l’ancien hôpital Sainte-Anne, à Toulon. Il était question de deux hommes, résistants de la première heure, Honoré d’Estienne d’Orves et Gabriel Péri, qui ont été fusillés à quelques semaines de distance au Mont Valérien en 1941.

Les trois conférenciers (dont une des petites-filles d’Estienne d’Orves), ont retracé l’itinéraire de chacun des deux hommes, itinéraires on ne peut plus dissemblables en apparence puisque l’un, officier de marine, faisait partie d’une vieille famille noble, et l’autre, issu d’un milieu populaire, était communiste. Au-delà du récit historique, ce qui est apparu, c’est la nécessité où ils se sont trouvés, tous les deux, de s’éloigner de leurs groupes d’appartenance et de leur fidélité à certains idéaux, pour entrer dans la Résistance.

D’Estienne d’Orves en désertant pour rejoindre de Gaulle à Londres, Gabriel Péri en rejetant le pacte Germano-Soviétique et donc la ligne officielle du Parti.

Un autre lien existe entre eux c’est le poème d’Aragon, « La rose et le réséda » qui leur est dédié.

« La Rose et le Réséda »

À Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves comme à Guy Moquet et Gilbert Dru

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l’échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Qu’importe comment s’appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l’un fût de la chapelle
Et l’autre s’y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du cœur des bras
Et tous les deux disaient qu’elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l’un chancelle
L’autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l’autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Nos sanglots font un seul glas
Et quand vient l’aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
L’un court et l’autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle
La rose et le réséda


In La Diane française, Paris, Éditions Seghers, 1944.
© Éditions Seghers, 1944

20220315gds-vie-clcass_le_passeJ’avoue que je ne savais presque rien de ces deux hommes ni des choses fort intéressantes que j’ai pu apprendre sur la manière dont s’est organisée la Résistance.

Par contre, je retrouvais les questionnements qui ont hanté, je crois, l’enfance de tous ceux qui sont nés avant1960, autour de la Résistance, de l’engagement contre la tyrannie. J’étais très impressionnée enfant par le Mémorial du Mont Valérien, nous habitions tout près, et cette butte, avec ses hauts-reliefs terribles, était un de nos lieux de promenade après les repas du dimanche. Je me demandais souvent si j’aurais été courageuse ou lâche.

Un peu plus tard, il m’est arrivé de me dire que cette époque héroïque avait eu une chance : les choses étaient claires, le Mal et le Bien assez nettement définis.

 

Le soir du 24 février, on savait qu’une offensive presque inimaginable venait d’être lancée contre l’Ukraine par Vladimir Poutine, nous en avons parlé avec effarement en sortant. Les guerres effroyables, nous avions pris habitude de ne les imaginer que loin de notre sage Europe, nous croyions avoir fini de payer de tribut-là à la nature humaine.

Mais à nouveau, les choses sont assez claires, et à nouveau la question du courage vient nous secouer dans nos vies ordinaires. La question du courage, la question de la vérité et du mensonge, la question de la liberté et de la tyrannie.

 

Certains spéculent sur la folie de Poutine, il y a quelque chose de terrifiant et rassurant à la fois à l’imaginer hors de la réalité, suivant ses délires, donc potentiellement isolé. Mais cette folie-là, la sienne peut-être, c’est celle qu’on trouve derrière toutes les guerres. Elle est — pour reprendre un mot à la mode — systémique dans l’espèce humaine. Elle est logée dans notre inconscient. Et c’est ce qui lui donne, je crois, sa redoutable efficacité…

mais efficacité relative, parce qu’il y a aussi ce qui anime les Gabriel Péri, les Estienne d’Orves, les Volodymyr Zelenski et tous ceux qui les suivent. Ce dont parle le beau poème d’Aragon, pour une fois exempt de toute emphase.

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Commentaires
B
Souvenirs très intenses de ce poème que j'ai écouté en boucle à une certaine époque à la fin de mon adolescence dans l'interprétation de Marc Ogeret. Il y en a d'autres (Lavillier c'est sûr, Ferré il me semble mais je ne suis plus très sûr).
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M
Merci Claire pour ce très beau témoignage et rappel de l'histoire et de la poésie !
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