Semper Sempé !...
Marie-Françoise Després-Lemarchand
À l’heure où l’été en (ultime enfin ?!) barbouillis de chaleur finit,
À l’heure où (désolée pour ceux à qui ces mots serreront le cœur) les nonagénaires un à un s’en vont…
Il y a longtemps que nous pensions à la mort de Sempé, longtemps que nous nous disions : « oh lala ! ce serait bien son dernier album… »
C’est fait — sans trop de falbalas, semble-t-il, dans une jolie discrétion qui lui va bien.
Plus que jamais, ressortir ses dessins, ouvrir ses albums sur notre petit « lutrin » (mot pompeux pour engin modeste !), se laisser héler par ses croquis délicieux, son humour délicat, ses petits personnages qui, tellement, nous ressemblent !
Il y a les vieux messieurs à cache-nez ou maillot de bain à pois philosophant face au soleil couchant,
les paroissiennes jubilantes, sautillant sur la place de l’église et s’adressant à Dieu comme à un vieux cousin,
les sages époux rêvant de passions folles,
les intellos tranquilles aux diatribes enflammées,
les retraités paisibles titillés d’infini,
les peintres du dimanche s’exaltant en Rembrandt
si familiers, si pathétiques, si émouvants ! Nous les connaissons bien, rions à chaque fois — d’eux, de nous ! Chamfort de notre époque, Sempé ? En plus gentil ? On a envie de se dire à chaque fois : « Allons, ce n’est pas si grave ! »
Sempé est mort et nous continuerons d’ouvrir ses livres, au gré des humeurs, au fil des saisons…, de batifoler avec lui entre villes et campagnes, banlieues cosys, divans de psy, salons chics, gratte-ciels et clochers…, de flâner sur ses croquis légers, colorés parfois d’une vibration mélancolique,
« on n’est pas sérieux quand n’a plus 20 ans » !
Il est un autre nonagénaire dont la mort probable proxime suscite nos questions. Ce jour-là, nous saurons vraiment que notre jeunesse a sombré et que nous sommes devenus très vieux nous aussi…
Nous étions étudiants à Rennes et Milan Kundera y donnait des cours cette année-là. L’aura du créateur slave illuminait les couloirs d’une fac plutôt verdâtre… Une fois par semaine, le beau Milan nous emportait dans les méandres de sa voix enchanteresse. Je serais bien incapable de soutenir une conversation sur Tolstoï ou Laurence Sterne, mais j’ai encore en mémoire la mélopée délicieuse : « Ahnnna Karrréniiina !... Triiistrrrahmm Shhandddy ! » et l’harmonie délicate du shetland bleu assorti à ses yeux ! C’était avant « me too », ma bouille juvénile n’avait pas dû un instant arrêter son regard — (oserais-je dire : « hélas ?! »).
Et puis, cerise sur !..., la royale déclaration d’un chaud après-midi de juin : « Que ceux qui veulent leur UV de maîtrise écrivent leur nom sur la feuille que je fais passer. »
Et voilà comment, dans un geste quasi évangélique, le bel écrivain nous donna tous cette année-là notre certificat de maîtrise, du premier au dernier !
Allons ! peut-être qu’à cette heure, M. Kundera loin des rumeurs du monde savoure gentiment la vie qui lui est donnée.
Nous rouvrirons ses livres aussi — ils résistent au temps, féroces et fantaisistes.
Kundera, Sempé… merci ! Joli bouquet !
Internet
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Wikipédia | Jean-Jacques Sempé
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Wikipédia | Milan Kundera