Tous les Noëls…
Marie-Françoise Després-Lemarchand
Il pleut.
Tous les Noëls…
Ceux de Saint-Lô, des rituels déjeuners familiaux dans la petite maison coquette où T., si soigneuse et éprise de silence, nous accueille, table choisie, tout sourire, vaillamment… Cadeaux profus des tantes célibataires qui nous gâtent (un landau de poupées rolls ! un vélo pliant !), confusion, déballage, cris de joie… le déjeuner s’étire, sans doute un peu bruyant jusqu’à la promenade, rituelle elle aussi, vers les remparts illuminés. On reprend la route en fin d’après-midi, dans la nuit déjà profonde, sommeil d’enfance dans la petite R8 paternelle, ronronnante comme un nid. Le petit blues viendra après – balafre du temps, Noël, Noël… déjà fini ?!
Celui, étrangement, d’une douceur infinie dans le petit logement de « la route de saint Quentin ». Noël sobre de parents chrétiens et économes. La tendresse enveloppe tout. Sur l’étagère du cosy, une boîte de dattes comme un joyau…
Le dernier Noël de P. Le lit médicalisé dans la salle, le poêle allumé, les massages de dos, la joie profonde et éphémère d’être là encore un peu tous ensemble…
Les repas de Noël des temps heureux, vacances dans la vieille maison de la rue Tête Noire. Nœud pap’ et assiettes de houx. D’une année sur l’autre, la « Bûche Tréhel », les fruits déguisés, la nappe aux motifs vert et blanc, les bougies torsadées… – coulures de cire, nappe çà et là un peu tachée –, compter les jours, pas repartir, qu’on voudrait éternels…
Les Noëls vague à l’âme — perdue, en larmes, dérivant où ?
Les jours de Noël à l’hôpital. Les malades qui le peuvent « partent en perm ». Fêter pour ceux qui restent — déco, déceptions, et fatigue. Les repas engloutis, les guirlandes arrachées… mais, parfois, petite joie, lueurs…
Le Noël où l’on va chercher T. à « Baclesse ». S’efforçant de tromper par un pauvre sourire… Le repas impossible, les leucocytes en débandade…
Noëls « d’après », Noëls d’ici, tout calme, tout doux. L’amie rejoint. On joue en petit comité aux « Noëls des isolés » ! Orphelins sexagénaires. Le smartphone fait des ponts. « C’est notre 8e Noël ! » compte l’amie en m’offrant de réjouissantes petites bottes roses. Paraît qu’on appelle ça : « prendre soin du moi-enfant ». Je danse avec.
D’ailleurs il pleut. Bientôt j’étrenne.
Tous les Noëls…