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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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25 janvier 2023

Aziza, femme de bravoure

 Abdellaziz Ben-Jebria

 logo_nos_aieuxElle n’avait que 26 ans lorsqu’elle perd mon grand-père, tué accidentellement, le 18/4/1937, par son meilleur ami et bon voisin de campagne. Ses deux fillettes, Aïcha (ma mère, plus connue sous le nom de Fatma), et ma tante Zeynab, étaient alors à peine âgées, respectivement, de 7 et 2 ans.

 Mais malgré son jeune âge et sa beauté physique, Aziza, joliment mince jusqu’à son décès (7/11/1910 – 29/11/1998), n’avait jamais accepté de se remarier, en dépit des multitudes demandes de prétendants. Elle voulait tout simplement protéger ses deux petites gamines. Croyez-vous qu’un homme ferait ce sacrifice ?

 Aziza avait en effet décidé, toute seule, de prendre le relais de son défunt mari pour s’occuper de ses oliveraies, tout en se dévouant pleinement à ses deux petites gamines, Aïcha et Zeynab. Elle était devenue, de ce fait, à la fois une mère de famille et une réelle cultivatrice agricole.

20230125gds-ecr-abenjeb_aziza_femme_de_bravoure2-2Aziza qui veut dire « Chère ou Bien Aimée » avait reçu, au cours des années qui avaient suivi la mort de son époux, plusieurs demandes de mariages qu’elle avait constamment balayées d’un simple mouvement latéralement négatif de sa tête. Jusqu’à sa mort, elle restait veuve. Jusqu’à sa maladie, elle travaillait énergiquement plus qu’un homme. Toute sa vie, elle se dévouait entièrement à l’amour de ses deux filles, de ses onze petits-enfants, et de plus d’une vingtaine de ses arrière-petits-enfants.

 C’est elle qui avait prédit intuitivement ma naissance, en me prénommant comme elle, au masculin. Elle avait veillé sur ma bonne éducation traditionnelle ; et elle m’avait accompagné dans mes longues soirées d’études, sous la lumière de la lampe à pétrole. Elle m’avait réservé une place privilégiée dans son cœur, et elle m’avait aimé profondément de ses pleins poumons lorsqu’ils se remplissaient régulièrement de leur oxygène vital. Aziza était une grand-mère exemplaire.

 En même temps, elle m’avait inculqué l’amour de l’olivier en me rendant un addictif de la cueillette des olives. J’étais devenu depuis mon enfance, et je continuais sans cesse, et jusqu’à nos jours, un fana amoureux de l’olivier, en dépit de mes longs périples professionnels internationaux.

20230125gds-ecr-abenjeb_aziza_femme_de_bravoure1-2C’est pour ces intimes raisons que je me souviens encore que lorsque j’étais un enfant, je profitais de mes vacances d’hiver pour ne jamais manquer la cueillette des olives. À l’aube, mais avant l’aurore, dès que ma grand-mère eut terminé sa première prière du matin, je montais avec elle et ses deux employés sur la charrette, tirée par une mule, en direction des oliveraies de mon défunt grand-père. Aziza, était alors, depuis son jeune veuvage, la cheffe agricole de sa petite famille composée de ses deux filles Aïcha (1930-2016) et Zeynab (1935 —). Quant à moi, malgré le froid et le vent hivernal, j’étais heureux de l’accompagner à la campagne pour me baigner dans l’ambiance de cette olivaison. Je souhaite, en passant, longue vie à tante Zeyneb qui est présentement la dernière survivante qui porte le nom de famille ʺRabbègueʺ à Ksibet-Sousse (notre village natal).

 Cependant un jour, à l’âge de 21 ans, me voilà en train d’abandonner provisoirement, malgré moi, mon village, le berceau de mon enfance, et surtout ma grand-mère, l’éternel amour de mon existence et le refuge de ma présence. Le destin avait en effet voulu que je fasse mes premiers adieux temporaires à grand-mère pour aller étudier ailleurs, en France. Et le jour de mon départ, j’ai eu mon premier grand chagrin de tristesse lorsque j’ai enveloppé l’Aziza dans mes bras pour lui dire au revoir ; elle m’a réconforté par des caresses pour apaiser ma détresse. J’ai alors éprouvé un sentiment de culpabilité vis-à-vis de celle qui m’avait toujours protégé depuis ma naissance jusqu’à ma jeunesse, mais que je n’allais probablement pas être là, tout près d’elle, pour lui rendre ma dette lorsqu’elle aura besoin de mes soins pendant sa vieillesse.

 Vingt-sept ans plus tard, après une longue maladie qui avait duré plus de 20 ans, me voilà en train de perdre définitivement ma chère grand-mère. Cette fois-ci c’est elle qui avait décidé, malgré elle, pas de son propre gré, de m’abandonner, pour toujours, physiquement, mais pas spirituellement. J’étais, à cette date-là, en année sabbatique de Penn State University à Boston, lorsque j’ai appris que la santé de l’Aziza se déclinait rapidement pour être inquiétante, selon les dires de ma mère qui a respecté mes consignes pour m’alerter à temps afin que je puisse être auprès d’elle pendant ses derniers moments. J’avais pourtant proposé à ma petite famille, qui se trouvait en Pennsylvanie, de me joindre à Boston pour fêter, à notre manière, « Thanksgiving », la grande fête traditionnelle nord-américaine.

 Sans perdre du temps, j’ai pris, dès le lendemain, l’avion en direction de Tunis, puis une voiture de louage vers Ksibet-Sousse, dans l’espoir de revoir ma très chère Aziza, avant son départ définitif. Mes quelques jours, passés au Bled, étaient tristement vécus auprès de ma grand-mère qui me regardait dans son agonie en me faisant des gestes d’adieu sans pouvoir me répondre verbalement. Manifestement, ma présence la réconfortait malgré tout, ainsi que celles de ma mère, de ma tante et de ma sœur qui se relayaient à son chevet en attendant la fin.

 20230125gds-ecr-abenjeb_aziza_femme_de_bravoure3-2Malheureusement, au bout de ma semaine qui venait de s’achever, je ne pouvais que faire mes derniers adieux à cette meilleure grand-mère du monde qui, après avoir sacrifié sa jeunesse pour le bien de ses deux petites orphelines du père, Aïcha et Zeynab, elle avait consacré une bonne part de sa vie à mon intention, en m’entourant de tout son amour affectif, dès ma naissance, en veillant au pragmatisme de ma bonne éducation, pendant mon enfance, en m’inculquant le plaisir d’admirer et d’aimer la campagne avec ses champs de blé et ses oliviers, pendant mon adolescence, en accompagnant mes longues veillées d’études et d’examens secondaires, pendant ma jeunesse, et en partageant joyeusement mes réussites professionnelles, tantôt de loin pendant mon absence, et tantôt de près pendant mes vacances. Ça faisait plus d’une vingtaine d’années de vie commune, dans la même maison à Ksibet-Sousse, et plus d’une autre vingtaine d’années alternant les courtes visites, au Bled natal, et les longues absences ailleurs.

 J’étais donc tristement obligé de la quitter, pour la dernière fois, dans mes douleurs sans même assister à son enterrement. Je ne pouvais à la fin que me consoler par mes tendres accolades, mes douces embrassades, et mes derniers regards flous à travers mes larmes qui perlaient.

 À peine une semaine après mon retour à Boston, et juste le lendemain du long week-end de Thanksgiving, ma grand-mère s’était éteinte pour toujours ; elle avait fini d’inhaler et d’exhaler ses dernières molécules d’O2 et de CO2, le dimanche 29 novembre 1998, exactement 22 jours suivant son 88anniversaire. Autant dire que ce Thanksgiving n’était pas celui que toute ma famille aurait souhaité célébrer.

 Ma grand-mère est décédée juste un an après le départ aussi définitif de mon père ; puis 18 ans plus tard, c’était le tour de ma mère. Mais en dépit de leurs disparitions, j’imagine que l’Aziza, Aïcha, et Kacem forment ensemble un trio familial, éternellement inséparable ; ils sont toujours logés au fond de mon cœur, et bien ancrés aux trois sommets de mon triangle équilatéral. Ils étaient, et ils continueront à l’être, pour toujours, les uniques modèles de ma vie. Je leur devais tout. Ils étaient le refuge de mon passé. Mais à présent, ils sont mes inoubliables références immunitaires contre un éventuel Alzheimer.

 

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