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Grains de sel
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19 mai 2023

Il disait "Je reviendrai là-bas", mais jamais revenu

Abdellaziz Ben-Jebria

C’est l’histoire d’Henri Tibi, un juif tunisien, de son vrai nom Robert Henri Tibismuth, né à Tunis, en 1930. Il passait, cependant, presque tout le temps de ses 40 premières années de sa vie, à la Goulette, une proche banlieue tunisoise, multiraciale et multiculturelle, où vivaient plusieurs ethnies en paix. Ce chanteur-bohème à la mode des années 50, aimait tellement sa Goulette qu’il chantait en déambulant au long de ses rues et de sa plage, à la longueur de la journée et de la soirée, sans jamais se lasser. Puis, il avait disparu des radars, après son départ de sa Tunisie natale en 1967, pour se perdre dans les rues de Paris, puis celles de Besançon. Mais Henri continuait à chanter ses tubes très touchants, dédiés tous, à l’amitié, l’amour, et la joie de sa Tunisie d’antan ; ses chansons s’intitulent « La Goulette », « Tunis ma Verte », « Tunis, Tunis, Tunis », « Toi l’Ami Sarfati », « le Froid, l’Amour, la Neige », ou encore « Zaama ya Rabbi Haï Taïeb ».

Henri incarnait une nature humaine pleinement romancée à son pays natal qu’il avait toujours tant aimé, tant chanté et tant adoré, et qu’il avait vitalement gardé au fond d’un cœur nostalgiquement brisé par l’amertume d’un exil forcé, les années difficiles à Paris avec ses chats, le passage à vide obligé, et l’oubli dans l’anonymat, façon Clodi-Clodo à la Nougaro. Il s’était laissé abandonner, après être délogé avec ses chats de son domicile parisien, pour atterrir finalement à Besançon, et être adopté par ses rues où il s’inspirait de Brassens en chantant ses propres morceaux d’amour pour sa Tunis natale et sa Goulette éternelle.

La douce mélopée du vieux barbu et d’Henri l’amoureux de sa Tunisie bien aimée, s’est nettement stoppée en 2013 par un accident de voiture malheureux. Pourtant, il voulait retourner là-bas ! Mais, par chance, le chanteur emblématique des quartiers de la Goulette ensoleillée et des rues de Besançon brumeux s’est miraculeusement ressuscité grâce à Yassine Redissi, un jeune réalisateur tunisien, qui s’est pleinement dévoué à l’histoire de son compatriote Henri Tibi pour lui redonner une seconde vie, en lui consacrant récemment un film documentaire qu’il a intitulé « Je reviendrai là-bas ».

Après avoir lu quelques publications dans la presse écrite, j’ai vu le film, le soir du 17 mai, dans le Cinéma « Le Balzac », affichant complet, dans le quartier chic des Champs-Élysées. Je pense que la mise en scène n’est cependant pas prodigieusement professionnelle et que les acteurs sont plutôt amateurs ; le film lui manque, à mon humble avis de spectateur, un bon narrateur qui aurait incarné le personnage pour lui instiller une âme, tout en donnant, au documentaire, un meilleur imaginaire de la vie réelle de notre attachant héros. Mais, mis à part l’aspect artistique, je pense que le jeune réalisateur a réussi, malgré tout, à rassembler tous les ingrédients-humains pour créer une vraie ambiance-vivante autour d’Henri Tibi et sa vie vagabonde.

C’est à l’occasion de ses déceptions circonstancielles de la période post-révolte-printanière de 2011 que le jeune cinéaste Yassine Redessi a commencé à fantasmer nostalgiquement sur le passé multiculturel d’un temps qu’il n’avait pas connu, mais que ses parents lui avaient préalablement imprégné, pendant son enfance. Il connaissait donc, par transmission parentale, les bienfaits culturels de l’amitié et le bon-vivre-ensemble de ce temps lointain de la belle époque de la Goulette tant désirée par beaucoup d’expatriés obligés, juifs, chrétiens et musulmans qui étaient tous ensemble bien agréablement enracinés. D’ailleurs, le jeune réalisateur avoue franchement, selon ses propres mots, que « les juifs ont fait l’histoire de la Tunisie avec un grand H, et ont influencé notre façon de manger, boire, chanter… je suis sûr que si je fais un test ADN, je vais trouver des ancêtres juifs ».

Je ne peux qu’approuver la remarque sentimentale du réalisateur ; la preuve est qu’il y a dans la Tunisie actuelle des grandes familles musulmanes telles que les « Memmi », les « Bousetta », les « Mâatoug », les Haddad, et bien d’autres qui sont aussi des noms de grandes familles juives.

Au moment où on vit actuellement une montée du racisme, du populisme et du repli identitaire, la douce île de Djerba enterre, pour preuve, ses morts devant la Synagogue de la Ghriba, victimes de la terreur qui frappe encore la Tunisie, et vit le deuil et la douleur de leurs familles. Et jusqu’à présent, ce président tunisien, un soi-disant professeur, n’a, à ma connaissance, montré aucune compassion pour ces innocents, et n’a même pas présenté de condoléances à leurs familles ! Mais grâce à des jeunes comme le réalisateur Yassine Redessi qui, en réhabilitant la mémoire et l’histoire atypique d’Henri Tibi, dix ans après sa mort, démontre, à tous ces égarés du présent, que son film documentaire est le contre-courant du populisme, une inclusion du vivre-ensemble, et une retrouvaille nostalgique de passé tolérant. C’est le modèle incarné par le chanteur d’amour attachant, l’enfant de la Goulette d’antan, le symbole de la coexistence entre plusieurs ethnies, Henri Tibi, qui, selon le jeune réalisateur Redessi, est beaucoup plus puissant, mieux pénétrant que chez certains Tunisiens qui se disent arabo-musulmans.

Je dois me sentir enfin bien apaisé de ma déprime du moment grâce à cette jeunesse tunisienne, à l’instar Yassine Redessi qui prouve encore une fois que la Tunisie ne sera épargnée, ménagée et sauvée que par sa jeunesse qui s’éveillera, consciemment, incessamment sous peu, résistera à cette époque calamiteuse de la post-révolte échouée, et la protégera contre les radicalisés du présent qui tenteront sa déchéance, son déclin, sa décadence et son retour au moyen âge.

Alors, pour apaiser mon esprit, je me laisse bercer par l’éternel vagabond-chansonnier, Henri Tibi, avec ses quelques morceaux émotionnels qu’il avait chantés sans relâche pour son pays natal qu’il n’a jamais oublié jusqu’à sa dernière molécule d’oxygène inhalée.

 

20230519gds-hist_abj_Il_disait_je_reviendrai_la-bas_mais_jamais_revenu

Tunis ma verte patrie
Tu gardes en toi tout mon passé
Des peines, des joies, des caprices
J’ai tout connu, tu m’as tout donné
Que de souffrances et de regrets
Est-ce la malchance ou la destinée
J’ai pleuré en faisant ma valise
Du bateau, j’ai fait une grosse bise
Adieu Tunis, ma bien-aimée
Le soleil s’est caché sous un nuage
Une larme au fond des yeux
Il fait sombre et soudain c’est l’orage
Et dans mon cœur voilà qu’il pleut.
Il nous fait bien du courage
Pour partir loin de chez nous
En emportant dans nos bagages
Doux souvenirs et chagrins fous
Où trouverai-je cette nonchalance
Dans quel pays, dans quelle cité ?
-----------------------------------------
Ô Goulette, ô Goulette
J’ai une dette, j’ai une dette
Et je dois m’en acquitter et je chante à tue-tête
Tes merveilles et ta beauté
Des glibettes, des glibettes
Les marchands sont revenus
Ils viennent crier à nos fenêtres
Et font les cent pas dans les rues
Des fillettes, des fillettes
Y’en a plein dans toutes les rues
C’est le plus beau coin de la planète
La Goulette c’est bien connu

 

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