Ma maison de campagne
Patricia Bignon
La maison de mon enfance appartient à un passé rural quasi disparu de nos campagnes françaises d’aujourd’hui.
Il y a 67 ans, je suis née dans une ferme située dans un hameau normand. Mes parents y ont élevé leurs 11 enfants.
La maison faite de briques, de silex pour les fondations, de tommettes posées à même la terre battue était constituée d’une pièce principale, d’une petite arrière-cuisine et de deux chambres.
La plus grande était celle des parents et des enfants en bas âge, car elle disposait d’un « Mirus » (petit poêle à bois) qui réchauffait la pièce en hiver. La seconde était séparée en deux par un rideau. Un coin pour les garçons, l’autre pour les filles. Nous y dormions presque tous à deux dans un même lit.
Pas de chauffage dans les chambres des plus grands. Il suffisait de laisser les portes grandes ouvertes pour que le poêle à bois de la pièce principale chauffe tout ce petit monde.
L’hiver, les vitres étaient souvent recouvertes de jolies rosaces glacées.
Malgré tout, il ne m’a pas semblé avoir souffert du froid. Pourtant les murs ruisselaient souvent d’humidité durant l’hiver, ce qui obligeait ma mère à les laver régulièrement.
Le soir, elle enfournait des briques dans le poêle à bois qu’elle enveloppait ensuite dans du papier journal et de vieux linges pour réchauffer nos pieds.
Pas de salle de bain, pas encore. L’hiver, nous nous lavions dans un grand bac en aluminium.
Mon père avait fait l’acquisition d’un seau percé de petits trous sous le dessous avec un système muni d’une corde, qu’il suspendait dans un appentis pour notre plus grande joie. Enfin une douche !
Vers les années 60, mes parents décidèrent d’agrandir la maison.
Tout d’abord, une salle de bains avec deux douches, deux lavabos et un bidet qui servait de lave-pieds. Et bien sûr, des WC. Mes camarades de classe étaient horrifiées, des toilettes dans une maison ! Pensez donc ! c’est dégoutant.
Dans cet environnement rural, nous serons l’une des premières familles du village à ne plus aller le soir dans ces « cabinets » infestés d’araignées, peu éclairés lors des nuits hivernales et souvent propices à des frousses immémoriales dont les instigateurs n’étaient autres que les plus grands qui s’amusaient aux dépens des plus petits.
Au rebut ! les vases de nuit peu ragoûtants et les corvées des seaux à déverser je ne sais où, car j’étais heureusement trop petite pour m’en charger.
Si mes parents avaient fait appel au maçon du village pour la salle de bain, ils décidèrent au vu du travail bâclé de l’ouvrier de restaurer eux-mêmes le reste de la maison.
Bientôt, nous aurions une vraie cuisine agencée comme il se doit grâce à un frère menuisier. Plus tard, ce même frère fabriqua une robuste table en chêne dont les proportions permirent d’accueillir la famille qui s’agrandissait avec les gendres, les brus et les petits enfants.
Plusieurs chambres vinrent compléter les agrandissements et enfin le chauffage central. Un luxe à cette époque dans ces campagnes qui tardaient à accepter la modernité.
Ma mère faisait figure de pionnière et poussait mon père à améliorer encore et encore. Il est vrai que tous ces changements facilitaient grandement sa vie quotidienne. Elle me racontait que déjà peu de temps après son mariage, elle avait exigé que l’on déplace le tas de fumier qui se trouvait en face des étables à vaches pour faciliter le curage, mais qui se trouvait aussi à proximité de la maison d’habitation du fait de la construction en L si répandue dans les fermes normandes.
C’est elle aussi qui a embelli la cour de ferme en plantant, semant, arrosant dahlias, lupins, géraniums…
Les villageois s’arrêtaient volontiers pour admirer les floraisons.
Quelques années après tous ces travaux, mon père a souhaité ajouter deux dernières pièces dans les soupentes du grenier. Aidé de mes frères aînés, il agença une chambre avec une salle de bain attenante afin que les membres de la famille puissent y séjourner.
Tout ceci paraît si lointain et si proche à la fois. Le village est aujourd’hui rempli de maisons coquettes et fleuries. Il serait difficile pour beaucoup d’imaginer ces maisons d’autrefois dénuées de tout modernisme, dont les cours étaient encombrées de planches, de tiges de fer… que l’on déposait pêle-mêle dans l’attente du ferrailleur.