Enfances volées, enfances bafouées
Anne-Marie Krebs
Parmi les nombreux textes autobiographiques que nous recevons dans nos groupes de lecture, beaucoup traitent plus particulièrement de l’enfance. J’ai moi-même déposé récemment le récit de la mienne, pas toujours facile, mais préservée et finalement plutôt joyeuse.
L’actualité nous rappelle que bien des enfants n’ont pas eu la chance de vivre dans l’insouciance, la légèreté et à l’abri de certains comportements pour le moins non adaptés des adultes. Dans les textes dont j’ai fait l’écho, j’ai lu plusieurs témoignages sur des enfances meurtries par le deuil, la peur, la faim, souvent dus à la guerre. Ainsi en 1944, au cours d’un bombardement, une fillette de 12 ans vit sa mère tomber en pleine rue en protégeant de son corps la petite dernière, elle-même en réchappa de peu et se sauva avec sa petite sœur dans les bras. Elle raconte les privations qui ont suivi, la peur continuelle, le manque de tendresse d’un père dévasté et dépassé, ses propres responsabilités en tant qu’aînée de quatre… à un si jeune âge : une enfance volée.
Plus scandaleux sont les témoignages d’enfants esclaves, voire martyrs : ainsi J. à qui sa mère célibataire ne peut pardonner d’exister. Elle la confie d’abord à une grand-mère affectueuse, puis, s’étant mariée avec un boucher, elle la reprend quand elle a 10 ans et en fait son souffre-douleur. L’enfant travaille à la boucherie les jeudis et les vacances, elle doit aussi laver le linge, faire le ménage, les vitres, etc., elle n’a plus un moment de liberté, mais sa mère, jamais satisfaite, crie sans arrêt et la bat copieusement ; un jour, après avoir reçu un coup sur la tête avec un pot de terre, elle hésite à aller porter plainte, mais son « père buvait le rouge avec les gendarmes », elle craint de ne pas être crue et de subir des représailles.
Un autre récit poignant relate une enfance saccagée par la misère, la bêtise et la méchanceté des adultes : trois enfants privés prématurément de leur mère subissent la violence d’une marâtre haineuse et brutale et de leur père complice : coups de poing dans la figure, sur la tête, coups de boucle de ceinturon, privation de nourriture, humiliations continuelles. On peine à comprendre comment des adultes peuvent s’acharner ainsi sur des enfants. Et le plus révoltant est le silence des voisins, du maître d’école et même du médecin. Dans le village on ne veut pas d’ennui, on ne se mêle pas des affaires des autres…
Encore plus odieux, les histoires qui révèlent des abus sexuels. V., une fillette de 6 ans, et son frère sont, comme leur mère, en butte aux violences d’un père alcoolique. Un grand-père essaie de les protéger, puis finit par les recueillir. Le frère se reconstruit peu à peu, mais la petite fille silencieuse porte un fardeau bien plus lourd, qu’elle met longtemps à révéler : elle a été plusieurs fois violée par son père. À la souffrance, s’ajoutent la honte et la culpabilité renforcées par l’attitude de sa mère qui ne veut pas l’entendre. Devenue adulte, V. ressent une impossibilité à vivre, l’écriture est un refuge et ce texte déposé à l’APA a été pour elle un premier pas vers une tentative de libération.
Internet
-
Service-Public.fr | Enfant en danger : comment le signaler ?