De l’éternité
Pierre Kobel
Dominique Fortier dans Les villes de papier, le livre qu’elle consacre à Emily Dickinson, écrit : « Le monde est noir et la chambre est blanche. Ce sont les poèmes qui l’éclairent. » Difficile situation pour les acteurs de la petite édition de poésie dont l’économie est toujours fragile. Mon ami Jean-Louis avec qui je collabore m’apprend qu’une anthologie dont la thématique est l’éternité pour laquelle j’avais écrit une préface ne pourra être publiée faute de moyens par l’éditeur. Recyclage me dira-t-on – et pourquoi pas ? – je la livre ici comme une réflexion sur le temps, celui de NOTRE éternité.
« Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil. »
Ce n’est pas moi qui l’écris, c’est Arthur Rimbaud. « Pour toujours nous savons qu’aujourd’hui est éternel. » nous dit Miguel Coelho. Autre façon de nous rappeler que l’éternité est éphémère et ne tient qu’à ce que nous en croyons, qu’à notre temps de mortels.
Qu’y a-t-il d’achevé dans nos faits et gestes, dans notre pensée qui le soit si totalement qu’il ne puisse être repris par un autre qui en montre l’inanité, la vanité ou de possibles prolongements ? Tout ce que nous vivons, tout ce que nous produisons n’est que le fait du passage, de l’éphémère, n’est qu’un maillon d’une chaîne qui nous précède depuis si longtemps que nous sommes peu à sa mesure et qui nous suivra tout autant, ce qui doit ne nous laisser que la modestie pour horizon. « On consacre sa vie à croire/en quelque chose d’éternel/parmi l’éphémère », nous rappelle Hélène Dorion.
Les auteurs ici réunis cherchent leur éternité, chacun à leur façon. C’est dans la trajectoire du temps pour Max Alhau, c’est dans un lieu qui lui appartient pour Nicole Barré. Pour Guy Knerr, « c’est peu vivre que durer ». Ambroise Masson situe dans le silence, l’éternité, Christophe Forgeot dans le renouvellement de la nature, également messagère pour Cécile A.Holdban. C’est dans l’expression de sa petite fille pour Matthias Vincenot.
Ce qui rassemble ici, c’est la poésie. Au-delà de la diversité des écritures, des langues, « Que pourrait dire/un long poème/de ce qu’on appelle/éternité ? » demande Pierre Dhainaut. « Ouvrir l’éclair à l’infini/faire barrage à ce qui engloutit », suggère la voix de Mireille Fargier-Caruso. « Conteuse de veille, marcheuse de vent,/j’écris, tu reconnais. » répond Isabelle Lévesque.
C’est dans l’articulation de tous ces textes que se prolonge la réponse. C’est dans la simplicité de ce questionnement d’Albert Camus : « Quel accord plus légitime peut unir l’homme à la vie sinon la double conscience de son désir de durée et son destin de mort ? » qu’elle émerge, loin de toute métaphysique, seulement accordée à notre peur du vide. Reste aux mots à nous redonner un sens, à nous raccorder au réel qui est souffle et devenir quand nous sommes « tous ces gens qui attendent/aux portes de l’éternité qui s’en fout » affirme Jean-Louis Guitard. Puis « On défait peu à peu tous ses vêtements. Plus aucun œil à l’agenda. On est hier ? Est-on demain ? » avec Jean-Claude Martin.
Et on conclura avec Gaston Bachelard dont la sagesse faussement bonhomme reste une leçon.
« Si notre cœur était assez large pour aimer la vie dans son détail,
nous verrions que tous les instants sont à la fois
des donateurs et des spoliateurs
et qu’une nouveauté jeune ou tragique,
toujours soudaine,
ne cesse d’illustrer
la discontinuité essentielle du Temps »
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À la porte du monde
Tu survis
Veilleur
Dans ton regard
Et dans tes mots
Les heures sereines du soir
Sur la page
Le silence
Le temps retenu
L’eau de tes yeux
J’éteins la lumière
J’éteins les jours
Tu es derrière la porte
Celle qui chante reste
Dans le règne habité de l’avenir
La mort a fait un pas en avant
On se passe un soleil dans les yeux
On avance dans la sagesse du fleuve
On se rallie au ciel
On rompt le pain et la poésie
On n’oublie pas de remercier