De la Commune
Pierre Kobel
Invité au micro de France-Inter, l’historien Pierre Nora disait privilégier la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon à celle des cent cinquante ans de la Commune de Paris. Il arguait pour cela que l’empreinte laissée par l’empereur dans nos institutions, dans notre vie sociale, reste considérable quand la portée de la révolution parisienne de 1871 est négligeable et ne représente qu’un épiphénomène de l’Histoire.
J’y pensais en regardant sur Arte Les damnés de la Commune, le documentaire réalisé par Raphaël Meyssan, film d’animation composé à partir des mêmes images qu’il a utilisées pour écrire la BD en trois volumes, publiée précédemment chez Delcourt. Télérama parle d’un « grand poème graphique », d’un « grand film humaniste ».
N’en déplaise à l’homme de qualité qu’est Pierre Nora, si la Commune de Paris n’a pas l’importance d’autres événements, faute d’avoir été commémorée comme il conviendrait ou de l’avoir été pour mieux en étouffer la mémoire, elle n’en reste pas moins emblématique d’une véritable expression de démocratie directe. Au-delà de ses excès et de ses désordres, elle est le moment d’une parole libérée, d’un souffle trop longtemps contenu.
C’est cette même volonté de respirer, de s’exprimer qui s’est manifestée jusqu’à maintenant ; en 1968 le temps de notre « Mai 68 », en 1989 sur la place Tian’anmen, en 2011 sur la place Tahrir, depuis 2019 en Algérie, à Hong-Kong, en Birmanie depuis le coup d’État militaire de février 2021. Et j’ajouterai jusque chez nous lorsque les Gilets jaunes ont envahi les ronds-points et les avenues des grandes villes dans le désordre des slogans et des aspirations contradictoires. Et à chaque fois, à des degrés divers j’en conviens, cette prise de parole a été confrontée à la répression. La mémoire de la Commune, ce sont aussi les cadavres laissés par les Versaillais qu’on a retrouvés jusque dans les années 20 sous les pavés au fil des travaux.
Aucun pouvoir politique ne supporte bien longtemps l’ébullition d’une parole libérée et quand les plus autoritaires n’hésitent pas à faire tirer sur la foule ou à l’écraser sous les chenilles des chars, les plus démocratiques la réduisent au silence sous le couvert du légalisme et des nécessités du maintien de l’ordre dont on mesure encore à quelles dérives il peut aussi conduire.
Les livres et le film de Raphaël Meyssan sont un hommage à toutes ces victimes, au-delà de celles de la Commune de Paris.
Et qu’on me permette de dédier cet article à tous ceux qui sont bafoués, déshumanisés en Syrie dont le médecin humanitaire Raphaël Pitti dit qu’elle « doit être considérée comme un camp de concentration, pour l’ensemble de la population, sur l’ensemble du territoire. »
Bibliographie
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Raphaël Meyssan, Les damnés de la Commune, © Delcourt
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À la recherche de Lavalette
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Ceux qui n’étaient rien
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Les orphelins de l’histoire
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Michel Cordillot, La Commune de Paris 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, © Les éditions de l’Atelier
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Émile Zola, La débâcle
Internet
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Wikisource | La Commune de Paris au jour le jour
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Le Maitron | La Commune et particulièrement la page consacrée à R.Meysssan