Le mystère de la chaussette rose
Marie-Françoise Després-Lemarchand
Ça faisait des jours qu’elle avait disparu, que secrètement je ne cessais de la chercher – dans les recoins du panier à linge, derrière un radiateur, sous les meubles…, des jours que son absence étrangement me… chiffonnait (incroyable ! laver deux chaussettes et n’en retrouver qu’une !) j’avais même pensé à fouiller le ventre de la machine à laver avant qu’un sursaut de rationalité ne freine mon élan scrutateur. Quand même, ça revenait en motif obsédant – « mais où est passée cette chaussette ? ») et comme bien sûr « une seule chaussette vous manque et tout… » ou comme, peut-être c’est juste ce qu’on a perdu qui d’un coup deviendrait précieux, ou parce que, en ces temps éprouvants, tout est susceptible de devenir doudou ?! (aux unes le vieux poste radio, aux autres ?!!!)
… mais inavouable bien entendu ! car comment faire entendre cette réponse scandaleuse : « Vous allez bien ? – oui, enfin non… j’ai perdu une chaussette ! » Non vraiment, j’aurais frisé l’indécence ! J’avais fini par me résoudre à la perte, par considérer la chaussette orpheline d’un œil compatissant et à lui promettre un sort digne de sa couleur réconfortante (lustrer les meubles, protéger une paire de lunettes, orner inutilement l’étagère du placard – tout un symbole finalement, une vraie leçon de philosophie : de la grâce de l’inutilité… enfin bref !
Et puis ce matin, coup de rose dans un ciel azuré, une voix au jardin : « Viens voir ce que j’ai trouvé ! » et là, toute affaire cessante, miracle quasi : la deuxième chaussette, pliée en boule au bas de la gouttière, à peine terreuse, pas plus usée qu’avant, modeste et royale comme une primevère dont le printemps normand n’est pas chiche… Rien d’explicable – si ce n’est le vol facétieux d’un de mes copains-merle, peu farouche, curieux de tout, fouillant l’herbe, les pots de terre – et pourquoi pas le panier à linge ?! Le mystère reste entier, j’ai ramassé le coton rose – pas mal usé en fait quand on y regarde de près, et me suis demandé quand même pourquoi ces retrouvailles me réjouissaient tant ! Encore un effet du confinement ? De l’univers concentré sur nos coins de jardin, du microcosme que sont devenues subrepticement, pathétiquement nos vies ? « Et vous, ça va ? Oui ! j’ai retrouvé ma chaussette !!! »