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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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3 mars 2022

À un poète inconnu

Anne-Marie Krebs

Ça me paraît un peu futile, en cette période douloureuse d’envoyer un billet aussi léger, mais je ne saurais quoi ajouter aux analyses de Pierre, et d’autres, qui savent si bien traduire les sentiments d’indignation et d’inquiétude qui nous habitent.

Voilà deux mois, une amie m’a remis un petit recueil de textes poétiques écrits à la main au début du 19e, qui dormait depuis des années dans un de ses tiroirs, pour que je le dépose à l’APA. Il lui avait été offert, à l’époque où elle enseignait l’histoire au collège de Gréasque, dans les Bouches-du-Rhône, par des élèves qui l’avaient trouvé dans le grenier d’une maison abandonnée d’un village des environs…

J’attendais d’avoir du temps pour déchiffrer cette écriture penchée, serrée, aux lettres alambiquées à la mode d’autrefois. Et puis ça ne me paraissait pas autobiographique et je ne voyais pas ce qu’on pourrait en faire à l’APA.

Or, en parcourant le blog, la semaine dernière, j’ai été interpelée par le billet du mardi 22, de Mireille Podchlebnik, parlant des « traces de vie » de ses parents qu’elle dépose sur le blog… Pourquoi ne pas tirer également de l’oubli ces petits textes et rendre un modeste hommage à leur auteur ?

Nous ne connaîtrons d’ailleurs que son prénom et ses initiales ; une petite étiquette collée sur le cahier indique : « Recueil de poésies par Emmanuel de G. R. ».

 

En y regardant de plus près, ces poèmes ne sont peut-être pas si loin de l’autobiographie, l’auteur y raconte en vers des anecdotes, des rencontres, des souvenirs. D’après la dédicace du premier poème : « Ma jeune hôtesse, Basquaise à Espelette (garnison) qui, en 1823 portait le nom de la belle Marie, elle avait (?) ans », on peut imaginer qu’il était un jeune soldat au début du siècle. Le recueil se termine sur des « Accrostiches Élégiaques pour ma fille Agnès à la mémoire de sa tante Agnès Lady Kelly, morte le 19 octobre 1851 ».

Entre les deux textes, 44 poèmes plus ou moins longs dont seuls quelques-uns sont datés : 1820, 1861, 1856, l’ordre est aléatoire, ce qui me fait penser qu’ils ont été recopiés et non rédigés directement sur ce cahier aux lignes soigneusement tracées au crayon…

 

Certains textes sont écrits pour des journaux de Marseille ou dédiés à des gens qui vécurent dans cette ville, comme la destinataire de cette épitaphe : « À ma sœur Adèle qui dangereusement malade le 20 mai 1863, fut à l’agonie, reçu (sic) l’extrême-onction, en releva de la manière la plus miraculeuse et vécut encore jusqu’en 1865 le 15 janvier à 11 h du soir à son couvent à Belle de Mai, couvent qu’elle avait fait bâtir et où elle a vécu religieuse 25 ans. »… La Belle de Mai est un quartier de Marseille où un couvent du 19e a récemment été racheté par la municipalité pour y mettre des ateliers d’artistes… On pourrait peut-être retrouver trace de cette famille, mais c’est difficile d’aller plus loin avec seulement des initiales !

Ces poèmes sont bondieusards, écrits en vers naïfs, dans une orthographe parfois défaillante – que j’ai respectée – illustrés de petits dessins au crayon ou gravures découpées dans des revues. Je trouve émouvant de sortir de l’oubli, auquel sa famille l’avait condamné, ce rimailleur enthousiaste qui célèbre la nature, les animaux et nombre de ses amis et connaissances.

J’apporterai ce cahier à notre AG en espérant que quelqu’un aura le loisir et l’envie de décrypter ces quelques 120 pages… et peut-être pourra-t-il être répertorié au fonds APA…

En attendant, voici un petit échantillon, le 1er texte sort de l’ombre un autre personnage bien modeste :


Épitaphe

De Victoire, ma bonne quand j’avais 3 ans (née 1761, morte 1831).

Ci-git bien petite Victoire.
Qui vécut de bien peu ; mais qui vécut long temps ;
Gardez-vous bien d’offenser la mémoire
De celle qui repose en paix ici dedans ;
Si quelqu’un prodiga les biens de cette terre,
Ce n’est pas elle assurément ;
Si d’avoir couté cher à son père ou sa mère,
Quelqu’un l’accuse c’est qu’il ment.

 

 

La pitié.

anecdote


L’enfance est sans pitié, dit un ancien proverbe.
Mais ce don précieux, on peut le réveiller,
Et s’il dort, c’est toujours d’un sommeil très léger,
Une fourmi souvent, une fleur, un brin d’herbe,
Une plume suffit
Pour attendrir leur cœur, rappeler leur esprit ;
Un enfant avait mis dans une vieille cage, deux farouches moineaux
Qui pour leur liberté s’agitaient avec rage ;
L’un d’eux s’en échappat, en forçant les barreaux.
L’autre désespéré de ne pouvoir le suivre,
D’un cruel désespoir était tellement ivre,
Je ne le croirais si je ne l’avais vu ;
Si l’on me l’avait dit je ne l’aurais pas cru ;
Sanglant, se dépêchait de s’arracher la plume
Vivement une à une
Et les faisait passer à travers les barreaux :
Comment cria l’enfant, attendri jusqu’aux larmes
Que fais-tu ? lui dit-il, et morceau par morceau,
Tu veux faire passer tout ton corps de moineau ?
Allons sorts tout entier ; moi, je te rends les armes,
aussi tot fait que dit, d’un seul coup de baton
Le sensible geolier lui brisa sa prison.
Sans regretter Pierrot sans regretter sa cage
Poussant des cris de joie comme enfant de son âge
Ensemble ils auraient ri, si l’un d’eux de son bec
n’eut été pour cela ni si dur ni si sec.

20220303gds-mots-amkrebs_a_un_poete_inconnu

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Commentaires
C
Je trouve les poèmes pas mauvais du tout, en particulier le deuxième, bien plus profond qu'il n'en a l'air, avec ses variations sur l'empathie !
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A
En effet, c'est en mai 1863 qu'elle était malade! Merci Élizabeth pour cette lecture attentive.
Répondre
E
Chère Anne-Marie, peut-être une erreur de date à rectifier ? à propos de la soeur Adèle, malade en mai 1865 mais qui "vécut encore jusqu’en 1865 le 15 janvier" ???<br /> <br /> Sinon, c'est effectivement touchant, et j'espère que l'APA les acceptera...
Répondre
J
Ces fragments de vie sorties de l'oubli et la poésie qui les accompagne sont de précieux témoignages...Merci Anne-Marie pour votre travail et ce partage!
Répondre
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