Chroniq’hebdo | De la manipulation, de la Terre, de la maladie mentale, de l’enfance et de la musique
Pierre Kobel
Alors qu’approche à grands pas l’échéance des deux tours des présidentielles et que, comme bien d’autres, je reste dubitatif quant à la qualité de la campagne qui l’aura précédée, deux lectures ravivent ma conscience citoyenne. D’abord celle d’un numéro de la collection Tracts de chez Gallimard, Zemmour contre l’histoire. Un groupe d’historiennes et d’historiens y fait la démonstration du discours manipulateur du polémiste qui, sans vergogne, tord les faits, les actes et leurs traces pour revenir obsessionnellement à ses thèses. Il fait ainsi la preuve de son mépris de l’humain, de son refus de la contradiction, tirant l’intelligence vers le bas sans autre considération que son ambition mensongère et agressive. Ce petit opus fait ce que nous devrions tous faire face aux obscurantistes divers qui trouvent tribune dans les réseaux : ne rien céder à leur discours, le démonter sans relâche jusqu’à l’épuisement. Ma part d’enfance découvre que certains signent d’un Z qui ne veut pas dire Zorro !
Mon autre lecture est celle de la BD d’Étienne Davodeau, Le droit du sol. Il y met en scène son périple de 800 kilomètres entre la grotte de Pech Merle dans le Lot et le village de Burle dans la Haute-Marne où les autorités veulent enfouir dans le sous-sol, les déchets nucléaires.
Mise en regard entre cette humanité préhistorique qui a su laisser de magnifiques fresques peintes dans un lieu retiré et obscur et celle d’aujourd’hui qui s’apprête à jouer de l’avenir des générations futures en usant abusivement de son pouvoir. Davodeau s’interroge, et nous avec lui, sur notre rapport à la terre, sur l’obligation de la protéger tout en devant faire face aux conséquences d’une politique énergétique à courte vue — et gros profits ! —, sur notre responsabilité individuelle et collective, sur la nécessité de l’engagement quand nous nous aveuglons. Mais si militante qu’est cette BD, elle l’est intelligemment, car elle est très documentée et l’auteur convoque au fil des pages divers interlocuteurs spécialistes qui éclairent en des termes accessibles notre lanterne citoyenne.
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Une Semaine d’information sur la santé mentale se tenait fin mars. C’est dans ce cadre que mon ami Éric a participé ce mois-ci au tournage d’un documentaire pour la webTV Bien dans ma tête. Quatre épisodes d’une quinzaine de minutes pour dire en immersion 1 journée avec 1 schizo. Le titre est plus accrocheur que sympathique, mais le film montre bien ce que sont les difficultés de la maladie psychique et quelles contraintes, quels obstacles dans la vie personnelle et sociale, elle impose. Il faudrait plus d’initiatives de ce genre pour faire prendre conscience au grand public de ce que sont ces maladies invisibles qui laissent trop souvent ceux qui en souffrent au bord de la route. Carences affectives, refus d’emploi et précarité financière, dépendance aux traitements médicamenteux sont leur lot quand par ailleurs, leur existence vaut pleinement la nôtre. Éric qui est poète, écrivain a déjà eu l’occasion de raconter son parcours avec la maladie dans un livre précédemment signalé dans le blog et sur le site de l’APA, L’homme qui entendait des voix.
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Et toujours au fil de cette nouvelle semaine, des images de l’Ukraine, le désarroi et la rage mêlés de ne savoir comment exprimer plus fort la révolte contre cette saloperie de guerre. J’y pensais encore en voyant le Belfast de Kenneth Branagh qui raconte l’enfance du réalisateur dans l’Irlande déchirée par la guerre civile entre catholiques et protestants. Son récit est à hauteur de l’enfant qu’il fut, dans un noir et blanc nuancé de gris. Il dit dans ses yeux ensoleillés et naïfs, les bonheurs d’un quotidien familial, de l’amour de ses parents et tout ce qu’il peut attendre d’une existence préservée. Jusqu’au déchaînement de la violence, jusqu’à la haine entretenue et portée par les extrémistes, jusqu’à l’exil forcé en Angleterre pour échapper aux menaces de mort. Il y a évidemment un parallèle à faire avec l’actualité. Ces guerres fratricides puisqu’elles touchent des communautés qui ont su beaucoup partager avant de s’étriper ramènent au début de mon propos, à cette forfaiture de quelques-uns qui n’hésitent pas à « préférer le chaos à la raison » (dixit Poutine) pour asseoir leur domination maladive.
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Fin de semaine entre poésie et musique. Une lecture l’après-midi chez un ami qui soumet à des proches des textes personnels avant de les dire en spectacle. Plaisir de la confiance, de l’échange, émulation qui me ramène au désir de reprendre mes propres chantiers d’écriture. Le soir je rejoins des proches qui chantent Gabriel Fauré. Leur chœur symphonique existe depuis presque quarante ans, il porte le répertoire classique en France et ailleurs. Ce n’est pas la musique que j’écoute le plus, mais je la connais et j’aime me laisser conduire ailleurs par ces entrelacs de voix, cette alternance de douceur et de grandes envolées et je suis toujours bluffé par ce talent qui permet de rassembler en une entité homogène la diversité des individus. Je voudrais que la politique aie le même talent et soulève encore les enthousiasmes.
Internet
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Gallimard | Zemmour contre l’histoire
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Futuropolis | Le droit du sol
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Bien dans ma tête | 1 journée avec 1 schizo
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Allociné | Belfast