Chroniq’hebdo | De la lecture, de l’enseignement, de la reine et de la poésie
Pierre Kobel
Finale du concours annuel de lecture à voix haute organisé par France 5 et François Busnel. Un art difficile que de lire à voix haute face à un public et, en l’occurrence, en face d’un jury. Mais ce qui me réjouit le plus, c’est de découvrir des collégiens et des lycéens, lire, aimer lire. Quel bonheur ce serait pour moi de voir un de mes petits-fils se passionner pour les livres !
Je ne doute pas que les contributeurs à ce blog sont des lecteurs. Je continue de recevoir quotidiennement des textes de souvenirs d’école pour Grains de sel. C’est comme si cela ne devait jamais s’arrêter. Jusqu’à présent, je n’ai pas participé personnellement à cette collecte. Autant j’ai du plaisir à lire les souvenirs des autres, autant je garde les miens à distance. Et pourtant l’école est présente dans presque toute mon existence. Deux ans en maternelle, cinq ans en élémentaire, neuf ans de lycée et quarante ans à exercer le métier d’instituteur. Un long parcours qui me laisse beaucoup de bons souvenirs d’élève, mais d’autres, beaucoup plus contrastés comme enseignant. C’est un métier difficile, sensible, qui demande des qualités humaines, psychologiques, fortes.
C’est pourquoi j’ai bondi, il y a quelques jours, lorsque j’ai entendu que l’académie de Versailles organisait un « job dating » pour pallier le manque d’enseignants à la rentrée prochaine. Une demie heure pour convaincre les recruteurs qu’on peut être un bon enseignant sans même une vraie formation. C’est scandaleux, c’est réduire le métier à une envie, un désir comme si cela suffisait. Si imparfaitement que je l’ai exercé, qu’en aurait-il été si je n’avais pas reçu deux années de formation qui m’ont donné des outils, des connaissances nécessaires ? On brade l’enseignement depuis des années, on le dévalorise. La formation, confiée à l’université au prix de la perte des apprentissages pratiques, est réduite comme peau de chagrin, les moyens ne suffisent plus pour assurer une véritable transmission des savoirs, participer pleinement à la construction des adultes de demain, à l’établissement des fondations d’une culture nécessaire. Ce ne sont pas les rodomontades suffisantes de celui qui vient de quitter le ministère et les « écoles d’excellence » voulues comme des écoles du futur par un pouvoir vite autosatisfait, ne suffiront pas à remplacer un véritable projet politique à long terme pour l’enseignement. Loin des ambitions personnelles et politiciennes, et au-delà des contraintes économiques.
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J’ai regardé durant un long moment, les cérémonies londoniennes du jubilé de platine de la reine. Élisabeth II règne depuis 70 ans, elle en a 96. Je n’ai pas connu d’autre souverain de l’Angleterre.
Le spectacle militaire était millimétré, la foule au rendez-vous, la famille royale a fait son apparition attendue au balcon de Buckingham et tous se sont réjouis de la fête réussie. Elle va se prolonger durant quelques jours, mêlant les ors des palais au commerce fétichiste qui décline l’événement et la souveraine de toutes les matières possibles. On nous dit qu’il n’y a que les Anglais pour se livrer à de telles festivités, mais combien, ailleurs, s’y rallient par curiosité, pour se moquer, c’est selon. Dans tous les cas parce que cet anniversaire ne laisse pas indifférent. S’il est bluffant par son ampleur et le spectacle qu’il déploie, plus encore ce qui me sidère, c’est ce qu’il a d’intemporel. Sommes-nous encore dans un conte de fées, dans un cérémonial suranné, un jeu médiatique derrière lequel se protège l’institution monarchique ? Il y a un peu de tout cela, sans oublier que sa représentation publique est aussi un jeu de dupes tant cette famille ne cesse de se livrer à des intrigues et des jeux de pouvoir. Un journaliste disait que ce sont les Borgia sans le crime.
D’autres, qui ne mesurent pas leur admiration béate pour la reine, font des gorges chaudes de tout cela. Pour moi, je regarde cette actualité, parfois en souriant, souvent en me scandalisant de ce qu’elle a hors-sol et de plus représentatif quand, dans le reste du monde et de la société, l’humanité ne vit que de manques et de misère.
Peu importe les bonnes œuvres de la royauté anglaise et de ses membres ! Elles sont une illusion, elles participent du jeu de dupes évoqué plus haut et ne résolvent rien des désordres et des inégalités du monde.
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Cette semaine se tiendra le Marché de la Poésie et j’y serai chaque jour. Je lisais des propos de René Char disant, à la mort d’Éluard, qu’on ne pouvait plus rien faire pour lui, mais qu’il pouvait faire encore beaucoup pour nous. J’aimerais qu’on puisse dire cela de moi à ma mort. Je doute que cela arrive. Je voudrais pouvoir le dire de tous les poètes que j’aime. Non pas que la poésie ait une vocation utilitaire, mais parce qu’elle ne peut se suffire à chanter l’air pur et les petits oiseaux. Aimé Césaire, autre poète majeur s’il en est, écrivait dans Cahier d’un retour au pays natal : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ».
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