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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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24 juin 2022

L’école dans un bled colonial

 Anne-Marie Krebs

 logo_nos_ecolesVoilà 2 ans, j’ai déposé à l’APA, le récit de mon enfance au Maroc intitulé : Une enfance au soleil. J’en extrais ce passage qui raconte ma première expérience scolaire, assez traumatisante.

C’était en 1950, j’avais 4 ans, nous venions d’arriver à Camp-Marchand une bourgade où vivait une petite communauté française.

 On allait à l’école dans une carriole tirée par une mule, quand quelque chose l’effrayait, une voiture qui nous doublait, par exemple, celle-ci s’emballait et partait dans le fossé en hennissant, j’étais terrorisée, je hurlais, ce qui ne faisait qu’augmenter la peur de la mule, qui hennissait de plus belle et sautait comme une folle ! Pour me faire taire, l’une des gamines qui venaient avec moi à l’école me bouchait la bouche et le nez, en me tenant serrée contre elle. J’étouffais, je me débattais, j’étais complètement paniquée.

 Il n’y avait qu’une classe comptant une quinzaine d’élèves de 4 à 12 ans, de la maternelle au certificat d’études. L’institutrice qui était la femme du boulanger n’avait sans doute aucune formation pour ce métier ; elle nous imposait une discipline de fer et pendant qu’elle s’occupait des grands, nous, les petits ne devions pas faire le moindre bruit, encore moins nous déplacer. Nous avions à tracer des lignes de bâtons et de ronds sur un cahier, quand c’était mal fait elle nous accrochait le cahier dans le dos avec une pince à linge et nous faisions le tour de la cour pendant la récréation, les autres élèves encerclaient le puni et lui faisaient les cornes.

 Cette femme cruelle nous frappait sur les mains avec une règle en fer. Comme j’avais du mal à faire correctement les ronds et les bâtons, je gommais souvent, et même, il m’est arrivé d’essayer d’effacer avec mon doigt mouillé. J’ai donc reçu pas mal de coups de règles et j’ai dû aussi faire le tour de la cour avec mon cahier dans le dos… mais je n’étais pas la plus à plaindre, car, assez mignonne, j’étais un peu chouchoutée, ce qui n’avait d’ailleurs pas que des avantages. Par contre, il y avait un petit garçon de mon âge, Jojo, qui était le souffre-douleur de la maîtresse et de toute la classe. Il devait être de famille modeste, sans doute espagnole, un peu sale, mal habillé… en tout cas il était rejeté par les autres enfants et toujours puni.

 20220624gds-mem-amkrebs_lecole_dans_un_bled_colonial

De là date le souvenir de la plus mauvaise action que j’ai faite de toute ma vie… Le samedi après-midi, nous avions droit à une projection de dessins animés. Mais avant de commencer, la maîtresse demandait le silence absolu : nous devions croiser les bras, ne plus dire un mot, ne plus faire le moindre bruit pendant quelques minutes interminables, car, comme les bancs et les tables craquaient au moindre mouvement, il ne fallait plus bouger du tout. Un jour j’avais, sans le vouloir, donné un coup de pied dans le banc de devant et le silence absolu avait été brisé avec fracas. Jojo était à côté de moi. La maîtresse nous a regardés en demandant qui avait fait ce bruit. Aussitôt Jojo a dit « c’est elle » et moi, terrorisée j’ai dit « c’est moi », mais les « grandes », qui m’adoraient et détestaient Jojo ont crié toutes ensemble : « c’est lui, c’est lui », je crois que j’ai essayé de dire que c’était bien moi, mais au bout d’un moment voyant toute la classe pour moi et contre lui, j’ai fini par dire moi aussi « c’est lui » ! Jojo a été doublement puni, d’abord pour avoir fait du bruit et ensuite pour avoir menti… il a été privé de projection et a dû rester au piquet à la porte de la classe. Je n’ai jamais oublié le regard que le pauvre gamin m’a lancé à la sortie ni la honte que j’en ai conçue. Depuis j’ai toujours eu tendance à me méfier des majorités et du consensus…

 Je redoutais les récréations, les « grandes » de la classe jouaient avec moi comme avec une poupée. Elles me coiffaient, me tripotaient, me bécotaient, etc., je ne supportais pas d’être traitée comme ça, aussi, dès qu’on était dans la cour, je me précipitais en courant pour m’enfermer dans les toilettes, les filles étaient à mes trousses et je n’arrivais pas toujours à fermer la porte avant qu’elles ne m’attrapent. Quand j’y parvenais, je restais enfermée le plus longtemps possible avec ces folles qui tapaient dans la porte, la maîtresse finissait par venir me faire sortir. Elle ne s’est jamais inquiétée de ce que nous subissions Jojo, le souffre-douleur, et moi la petite chouchoute. Je demandais à ma mère de ne plus m’envoyer à l’école, mais elle a toujours résisté, elle avait les deux autres à la maison et ça lui suffisait. Elle non plus ne s’est jamais rendu compte des angoisses engendrées par cette école, dont je ne garde que de mauvais souvenirs.

 

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