Chroniq’hebdo | Des mots, de Hubert Reeves, de l’IA et d’Ahmad Jamal
Pierre Kobel
Partir, revenir, s’évader. Être là et ailleurs. Me perdre. Et mille fois je me demande : que sera demain ? « Mettre des mots sur des mots ne me va plus. » écrit une amie. Rétrospectivement, je me sens proche d’elle, de cette fragilité qui rejoint celle que je ressens de plus en plus.
Je lis Une soif de lettres d’Élisabeth Charra : « Une vie, un livre s’ouvre sur un secret, se referme sur l’oubli. Une pensée buissonnière m’a fait écrire, écrire à partir de l’oubli. L’écriture de ce que je n’ai pas su dire. Ce texte s’est écrit quand il me semblait ne plus me souvenir de rien.
Le corps rêve sa mémoire, écrit sa légende. À l’égard du passé, les souvenirs prennent leur liberté. Ils tournent et s’enroulent sur la roue à aubes des mots. L’écriture en fait son lit, élargit l’espace. Elle transforme, elle efface. Écrire est un acte de résistance. Avant l’oubli. »
Faut-il continuer d’écrire ? Les mots ont-ils encore un sens à l’abord de tout ce qui nous bouleverse et nous conduit à l’inconnu ?
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Blaise Pascal évoquait le cosmos en écrivant : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. »
Hubert Reeves cite la phrase dans un opuscule, L’Univers expliqué à mes petits-enfants. L’astrophysicien, en s’adressant à sa petite fille, fait œuvre de pédagogie pour tous les Candide que nous sommes et que je suis en particulier. Beaucoup me parle de ce livre, en enrichissant ma connaissance de l’univers et de ses phénomènes, en expliquant l’état des découvertes et aussi toutes les parts d’inconnu qui subsistent pour comprendre d’où nous venons et où nous allons.
Tout cela relativise l’importance de nos petites personnes. Nous ne sommes que de passage, individuellement et collectivement.
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France-Inter consacre une journée spéciale à l’Intelligence artificielle, l’IA qui défraie l’actualité depuis la fin de l’année dernière et la mise à disposition de Chat GPT, ce robot conversationnel dont se sont emparés les uns pour s’amuser avec et les autres pour en user au lieu de faire un travail personnel.
Fascination ou frayeur, que faut-il en penser ? Je suis heureux d’entendre dans le discours de spécialistes que ce n’est pas l’outil en soi qui est dangereux, mais l’usage qui en est fait et l’intention qui accompagne sa conception.
Pour moi s’ajoute la crainte que les algorithmes dont sont composées ces machines ne conduisent à une régulation de la pensée, à des modélisations de moyen terme qui aillent contre toutes les marges, tous les excès, toutes les hétérodoxies nécessaires à l’invention et la création, au progrès.
Sans doute le meilleur moyen de ne pas céder à ces dangers, c’est de connaître ces outils, de s’informer et de ne pas en user aveuglément. L’IA est déjà dans notre quotidien, elle va s’y installer de plus en plus. Ce qu’il faut savoir, c’est que cette intelligence repose sur notre savoir et la masse de connaissances et d’informations qui lui sont fournies. Son savoir est le nôtre et nous ne devons en user que pour nous augmenter, pas pour nous laisser dominer.
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Tandis que j’écris, j’écoute le piano d’Ahmad Jamal dont je viens d’apprendre la disparition. Sa musique le fera vivre encore longtemps. Une musique pleine de vie et d’espérance, qui donne à résister à la fragilité évoquée plus haut, qui donne à espérer au-delà de tous les doutes.
Internet
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Wikipédia | Hubert Reeves
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Wikipédia | Ahmad Jamal