Les promesses de l’aube
Catherine Bierling
Les vacances de Noël terminées, les petits-enfants repartis, le calme, parfois un peu désorientant, se réinstalle. Nous revoici face à tous ces problèmes, ces incertitudes, ces questionnements qui sont le lot des « grandes personnes », comme les qualifie Saint-Exupéry dans Le Petit Prince.
J’ai vécu deux semaines auprès d’un petit prince qui n’en finit pas de s’étonner de la vie. Sa grande sœur de bientôt onze ans est déjà confrontée à des questions plus sérieuses : l’entrée au collège qui se profile à l’horizon, l’intérêt pour l’équitation, le choix des vêtements adéquats, les amitiés qui se font et se défont… la vie n’est déjà plus aussi facile.
Le Petit Prince de bientôt trois ans ne connaît pas encore ces problèmes, il découvre tout ce qui passe à sa portée avec un intérêt et un enthousiasme qui ne se dément pas.
Je pense soudain à ce titre de Romain Gary : La promesse de l’aube et plus particulièrement à cette phrase : « avec l’amour maternel, la vie nous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. »
Romain Gary met cela en rapport avec les inévitables déceptions amoureuses qui jalonnent ultérieurement son parcours, car les amours adultes ne sont jamais à la hauteur de ce premier amour maternel inconditionnel. Mais je tends à interpréter cette belle formule d’une manière un peu différente. Au départ, l’amour est certes ce que l’on reçoit de sa mère ou de ses proches, mais c’est parallèlement ce que l’on donne, que l’on distribue sans compter, ce que sait si bien faire notre petit bonhomme. Et recevoir à mon âge tant d’amour gratuit est un cadeau inespéré.
Les promesses de l’aube, en effet, ne sont pas toujours tenues. Tout cet émerveillement en découvrant la vie fera sans doute place à des déceptions, des frustrations, des ajustements obligatoires face à une réalité qui ne sera pas toujours bienveillante. Chemin douloureux d’apprentissage que nous avons tous à suivre jusqu’au bout.
Ce qui, pêle-mêle, éveille son intérêt : les outils de son grand-père, les clés et les serrures, les objets bizarres sortis des tiroirs de la cuisine, les crayons de couleur, les blocs de bois colorés, les bâtons trouvés en chemin, les animaux de la ferme, le livre du petit ours blessé ou de la petite sorcière trop curieuse. Appuyer sur des boutons pour mettre un appareil en marche, allumer et éteindre la lumière, découvrir le grenier qui ressemble à celui de la sorcière, jouer avec un bateau au bord du petit bain de la piscine, manger des mandarines et semer des pelures partout en riant aux éclats, regarder passer les tramways, inspecter les photos et vidéos sur les smartphones des aînés, trotter dès le matin dans le couloir en brandissant une scie électrique (jouet) que lui a prêté un petit voisin. Jouer avec ses deux langues, ajoutant chaque jour de nouvelles unités et de nouvelles combinaisons. Pendant deux ans et demi, il s’est tu, mais s’exprimait beaucoup par gestes, à présent, il prend un plaisir fou à répéter tout ce qu’il entend. Se blottir quelques instants sur des genoux et déposer sur une vieille joue, spontanément, sans y avoir été invité, un baiser doux comme la caresse de l’aile d’un ange.
Il est la promesse de l’aube et je lui souhaite de tout cœur de rencontrer aussi peu de déconvenues que possible et de garder cette fraîcheur, cette confiance en la vie, ce caractère ensoleillé, coquin, curieux et serein.