Sanary-sur-Mer
Mireille Podchlebnik
Pour lutter contre la morosité ambiante de ces temps troublés, rien ne vaut une petite dose de poésie et d’humour sur les jours passés où rien ne se passa comme prévu.
Invitée à Sanary-sur-Mer lors du dernier printemps des poètes qui avait pour thème « le courage », je m’apprêtais avec enthousiasme à participer à cet évènement. Je devais présenter le samedi 14 mars le livre « Exil et transmission » retraçant l’exposition que nous avions réalisée avec mon amie Sophie pour les journées du patrimoine de septembre 2018.
Mais la crise sanitaire devait en décider autrement et je me souviens de ce vendredi 13 mars, est-ce un hasard de date, et de mon arrivée craintive à Marseille où tout fut annulé au dernier moment.
La lecture des poèmes de notre livre et d’autres encore que j’avais choisis pour l’occasion n’aurait donc pas lieu. Le groupe marseillais de musique Klezmer « Les oreilles d’Aman » qui devait animer la soirée ne viendrait pas, et au dernier moment je devais occuper au mieux ce week-end très contrarié.
Sur le port de Marseille me promenant le soir avec une amie, je cachais sous un foulard le masque que j’étais alors seule à porter et qui attirait tous les regards ; les nouvelles alarmistes de la capitale semblaient encore tenir à distance les gens du Sud.
Après quelques hésitations, je me rendis tout de même le lendemain à Sanary au fameux hôtel de la Tour dans l’idée d’écrire un article sur ce lieu où séjourna Klaus Mann et de nombreux autres artistes que la montée du nazisme conduisit à l’exil dès les années trente.
Cette petite ville proche de Toulon, chargée d’histoire, accueillit bien avant les artistes et écrivains allemands et autrichiens, des écrivains anglais. Parmi eux Katherine Mansfield qui écrivit en 1916 ce poème.
Sanary
Her little hot room looked over the bay
Through a stiff palisade of glinting palms,
And there she would lie in the heat of the day,
Her dark head resting upon her arms,
So quiet, so still, she did not seem
To think, to feel, or even to dream.
The shimmering, blinding web of sea
Hung from the sky, and the spider sun
With busy frightening cruelty
Crawled over the sky and spun and spun.
She could see it still when she shut her eyes,
And the little boats caught in the web like flies.
Down below at this idle hour
Nobody walked in the dust street;
A scent of a dying mimosa flower
Lay on the air, but sweet--too sweet.
*
Sanary
Sa petite chambre étouffante surplombait la baie
À travers l’épaisseur des palmiers étincelants,
Là elle s’allongeait dans la chaleur du jour
Son visage assombri reposant sur ses bras,
Si calme, si immobile, elle ne semblait
penser, sentir, ni même rêver.
Chatoyante et éblouissante la toile de la mer
Descendait du ciel et le soleil comme une araignée
Avec une cruauté empressée et effrayante
Rampait dans le ciel et tournoyait et tournoyait.
Elle pouvait encore le voir quand elle fermait les yeux,
et les petits bateaux emprisonnés dans la toile comme des mouches.
En bas à cette heure désœuvrée
Personne ne marchait dans la rue de poussière ;
Une senteur de mimosa évanescent
Flottait dans l’air, doux — trop doux.
Traduction de Mireille Podchlebnik
Aldous Huxley habita aussi cette ville où il rédigea dans sa villa « Huley » son célèbre ouvrage « Le meilleur des mondes » en quelques mois seulement à partir du printemps 1931.
Le samedi soir, je dînais avec des amis au restaurant de l’hôtel de la Tour, profitant d’un repas délicieux au bord de mer. Au cours du dîner, Géraldine la patronne vint nous informer des dernières nouvelles et de la fermeture obligée de son hôtel-restaurant prévue le soir même à minuit. Elle pouvait bien sûr encore me loger jusqu’à mon retour sur Paris. Nous étions fort dépités et inquiets de l’incertitude qui se dessinait. Mes amis me conduisirent le lendemain à la gare de Toulon, le train pour Paris était quasi désert et j’avais hâte de me retrouver à l’abri chez moi.
Ce devait être ma dernière sortie avant plusieurs mois, le lendemain nous devions être confinés jusqu’au mois de mai.
Le deuxième et actuel confinement me conduit à nouveau sur les traces de Sanary avec la lecture de Colette « Lettres à sa fille ». Colette de Jouvenel, dite « la petite Colette » dans un courrier à sa mère daté de mai 1939, raconte qu’elle se rendra à Sanary à l’invitation de madame Kisling. Je découvre qu’elle fut l’amie du peintre Moïse Kisling et qu’il réalisa plusieurs portraits d’elle. Ce peintre, « le prince de Montparnasse » également réfugié, fut l’un des sujets de notre exposition. Il reviendra après la guerre dans cette ville où il finira ses jours.
La lecture et la poésie heureusement nous offrent des allers-retours à travers l’histoire, des voyages et des rêves indispensables pour défier la morosité.