Comédies françaises
Bernard M.
J’ai enfin terminé, un peu laborieusement, le roman d’Eric Reinhardt Comédies françaises.Au final j’ai plutôt bien aimé mais il y a quelques moments, vers le milieu, où j’ai failli le lâcher, d’autant plus que j’avais d’autres sollicitations.
S’y articulent un récit sur la vie d’un jeune journaliste, Dimitri, de ses coups de cœur sentimentaux, de sa construction personnelle au fil de rencontres de personnes ou d’événements où hasard objectif et nécessité font bon ménage, et des livres qu’il fantasme d’écrire, des enquêtes qu’il conduit. Le personnage est attachant d’autant plus que dès la première page nous savons qu’il va mourir à vingt-sept ans, dans un accident de la route.
Ses enquêtes, qui sont celles de Reinhardt lui-même, donnent un contenu documentaire très conséquent au livre. On y apprend comment Max Ernst a transmis à Jackson Pollock la technique du dripping un matin de juin 1942, symbole du basculement de l’épicentre de l’art contemporain de l’Europe vers les États-Unis et surtout comment ont été abandonnées en France les recherches décisives de Louis Pouzin, inventeur du datagramme, qui aurait pu conduire l’Europe à prendre une avance décisive dans l’invention et le développement d’internet. Ce sont cela, j’imagine, les comédies françaises du titre, bien que rien ne l’indique explicitement. L’enquête est minutieuse et solide et les processus en œuvre menant à ce grand ratage industriel sont décrits de façon très claire et pédagogique. Le ton se fait sarcastique pour dépeindre le conservatisme rance de la vieille bourgeoisie française et l’incapacité notamment d’Ambroise Roux, le parrain du capitalisme français de l’époque, à voir plus loin que la vente de ses centraux téléphoniques, d’où l’impasse de Transpac et du minitel plutôt que la voie prometteuse des réseaux. Tout cela est passionnant et suffisamment entrelacé avec la vie tourbillonnante du jeune Dimitri pour ne pas être pesant.
Mes réserves viennent de procédés stylistiques qui par moment m’ont sérieusement agacé. Les choses sont dites et redites, de façon répétitive, parfois quasiment à l’identique, parfois reprises sous un angle légèrement différent. C’est manifestement voulu pour enfoncer le clou, pour donner par moment presque l’impression d’une litanie, voire d’un mantra. Les accumulations sont une facilité qui n’apportent rien (trois pages citant d’innombrables metteurs en scène pour dire que Dimitri va beaucoup au théâtre ça fait beaucoup, comme de reprendre 23 fois en 7 pages, je me suis amusé à compter, le nom de l’auteure d’un article qu’il analyse sur le rôle de la CIA pour promouvoir l’art américain contemporain !)
Je me suis demandé si Reinhardt était coutumier de ces facilités (qui aboutissent aussi à gonfler la pagination du livre) ou si c’était un choix délibéré et voulu pour celui-ci. De lui je n’ai lu que Le système Victoria, dont je ne me souviens pas du tout, hormis du fait que j’avais pris plaisir à le lire, c’est terrible ça, cet effacement de la mémoire, affreusement frustrant, et ça justifie ce que je fais parfois, de prendre quelques notes en lisant même quand il s’agit de romans.
Internet
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Wikipédia | Éric Reinhardt
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Wikipédia | Louis Pouzin
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Wikipédia | Ambroise Roux