La panthère des neiges

Brigitte Fauquet

 Images à couper le souffle, des paysages de haute montagne du haut Tibet battus par des rafales de vent et de neige, à la source du Mékong dans ces déserts où les glaces sont éternelles. Entre 4000 et 5000 m. d’altitude, Vincent Munier, poète animalier, « adorateur du soleil » entraîne son ami Sylvain Tesson et une petite équipe d’opérateurs chargés de matériels de plusieurs dizaines de kilos, par moins 20° à la recherche de l’impossible, du Graal, l’invisible, la mystérieuse panthère des neiges. Autant dire qu’il faut avoir la foi chevillée au corps, car l’échec paraît plus certain que la réussite. Il faut un certain courage, le matin, pour s’extirper de son sac de couchage, mais dès que l’ascension commence, la fébrilité de la découverte fait oublier le froid. S’enchaînent pendant des jours et des jours des affûts de longues heures, voire de journées entières dans l’espoir de voir l’invisible, le principe même du Tao. À Sylvain Tesson, frénétique vadrouilleur, il va falloir apprendre les vertus de la patience et de l’immobilité, toute une sagesse à mettre en pratique au contact de Munier, traqueur d’un monde primitif, à l’aube de la création du monde, reconnaissant à tout ce que cette terre sauvage offre d’ignoré, les bêtes, rien que les bêtes  : les troupeaux de yacks, puissants moutonnements de laine brune qui se déplacent ensemble, ce sont les seigneurs, « si peu modernes », les antilopes qui se débandent, les marmottes qui surgissent, les renards en recherche de proies, une famille d’ours placides dans leur marche, mais menaçante si l’on s’en approche trop, les loups souverains qui dansent sur la crête avec les gazelles et les vautours qui planent à la recherche de charognes. Tout un monde désert qui devient vivant.

Jusqu’au jour où « elle apparaît » une première fois. Nul doute qu’elle les a sentis, elle, qu’elle les a vues, même si eux n’ont pas réussi à la voir. Dans un canyon. Ce sont les oiseaux qui ont donné l’alerte, un gypaète ou un grand corbeau suffit. Tesson la désirait et il l’a vue, elle et son pelage marqueté d’or et de bronze. « C’était le plus beau jour de ma vie depuis que j’étais mort » une confession intime, pudique : la double perte de sa mère et d’une femme aimée, vide, que la panthère va combler. Deuxième apparition : elle est en chasse, prête à attaquer les chèvres bleues, mais elle manque sa proie. Enfin, dernier épisode, le plus glorieux, le petit groupe installe un bivouac pendant deux jours et deux nuits, par – 30 degrés, dans une grotte qui surplombe une piste – un balcon – d’où ils peuvent voir à leur aise, en bas, un yack gisant dans son sang agonisant, égorgé par la bête. Elle les a repérés « car la terre sent l’homme », mais dans une splendide indifférence, elle dort, se réveille, hume l’air et disparaît. « C’était l’âme du monde primitif alternant les ténèbres et l’aurore ». L’affût est fini, ils l’ont vue.

Reste la morale de l’histoire, se tenir à l’affût, même en ville, est une ligne de conduite. Ainsi la vie ne passe pas, l’air de rien.

Formidable hymne à la vie en grand danger, telle qu’elle pourrait « demeurer » à être !

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